Assise sur un siège de camping à la sortie d'une station de métro de Bangkok, équipée d'un micro et d'un petit amplificateur, Yupin Boonchuen fait de son mieux pour se faire entendre. Et pour faire entendre les droits des aveugles qui, comme elle, souffrent de préjugés en Thaïlande.
"J'avais l'habitude d'écouter la radio et de m'entraîner toute seule, c'est comme ça que j'ai appris à chanter", explique l'habituée des lieux, qui exerce son art plusieurs heures d'affilée.
Des centaines d'aveugles font ce petit boulot, faute de mieux dans ce pays bouddhiste où certains considèrent le handicap comme le résultat de mauvaises actions dans les vies passées.
"Il n'y a pas beaucoup de métiers possibles pour les aveugles.... à part vendre des tickets de loterie, chanter ou masser", explique cette ancienne masseuse de 50 ans.
"Je voudrais que les handicapés puissent avoir plus de choix professionnels", ajoute celle qui récolte auprès des passants en moyenne 25 euros par jour, une somme non négligeable en Thaïlande.
C'est tout le paradoxe de la société thaïlandaise vis-à-vis de ses handicapés: ils sont peu insérés dans le monde du travail et très peu visibles dans les rues à l'exception des chanteurs. Mais donner de l'argent à ces derniers, frappés par le sort, est une bonne action supposée porter chance au donateur, selon la tradition bouddhiste.
"Les Thaïlandais ont une relation très ambiguë aux travailleurs de rue. D'un côté, les Thaïlandais aiment le divertissement... mais de l'autre, ils (les chanteurs de rue) sont stigmatisés", analyse Philip Cornwell Smith, qui leur consacre un chapitre dans son livre de référence sur la Thaïlande, "Very Thai".
"Il commence toutefois à y avoir des possibilités d'emplois plus variés pour les aveugles, comme de travailler dans des centrales d'appels", ajoute-il, interrogé par l'AFP.
L'Etat thaïlandais s'est même lancé dans une entreprise de régulation du secteur des chanteurs de rue, qui sont à 90% aveugles selon le ministère des Affaires sociales.
Depuis 2016, la loi sur la mendicité a été amendée et les musiciens de rue ont vu leur statut d'artiste reconnu: le ministère des Affaires sociales leur remet désormais une carte officielle attestant de leur statut, après une audition. Des cours de musique sont même organisés pour ces travailleurs.
Culture populaire
Nombre de ces musiciens jouent la musique de leur région d'origine, le nord et le nord-est du royaume, dotées de solides traditions musicales.
Leurs chansons racontent la dureté de la vie de ces habitants des campagnes venant en masse travailler à Bangkok, souvent dans des conditions difficiles, en laissant au village leurs enfants, confiés aux grands-parents.
Certains s'accompagnent d'instruments traditionnels comme une flûte de bambou ou une sorte de mandoline.
Singhkhum Boonraing, chanteur aveugle de 28 ans, a choisi comme lieu de travail un parc du centre de Bangkok. Arrivé il y a quatre ans de la province septentrionale de Chiang Mai, il a d'abord vendu des tickets de loterie avant de laisser libre cours à sa passion.
"J'ai vu qu'il y avait beaucoup de musiciens de rue qui jouaient en public, et comme j'adore chanter, j'ai finalement décidé d'essayer", explique celui qui s'accompagne aujourd'hui d'une guitare électrique.
"J'aime ce que je fais, mais ce n'est pas facile, certains jours je ne gagne pas d'argent", relève Singhkhum Boonraing, en déplorant les "rares opportunités" offertes par la société thaïlandaise aux handicapés.
Pour Napa Setthakorn, un responsable du ministère des Affaires sociales en charge du programme de formation des artistes de rue, ceux-ci ne sont pourtant pas à plaindre: "Certains gagnent plus d'argent que nous", certifie-t-il.
Ils sont près de 2.700 à s'être enregistrés depuis le lancement du programme en 2016.
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