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L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a-t-elle minimisé le potentiel géothermique d'un site lorrain pour pouvoir y stocker des résidus hautement nocifs ? Oui, répondent des antinucléaires, qui l'attaquaient lundi en justice à Nanterre.
Dans le viseur du réseau Sortir du nucléaire et de cinq associations locales: Cigéo, un projet controversé de stockage de déchets radioactifs sous le sol de Bure, petit village de la Meuse.
Les associations, qui assignaient l'Andra pour "faute", l'accusent d'avoir menti en sous-estimant volontairement la richesse du site - des nappes souterraines d'eau chaude - pour faciliter l'implantation du futur centre dans cette zone rurale aux confins de la Haute-Marne.
Cigéo, un tombeau enfoui à 490 mètres sous terre, doit accueillir une infime partie des déchets provenant des centrales nucléaires françaises, environ 3%, mais concentrant 99% de la radioactivité de l'ensemble de ces déchets, et pouvant rester nocifs plus d'un million d'années.
Le projet n'est pas encore autorisé: l'Andra compte finaliser sa demande de création en 2017, dans l'optique d'un décret d'autorisation à l'horizon 2020 puis d'un démarrage progressif de l'exploitation à partir de 2025, avec une phase industrielle pilote de 5 à 10 ans.
Or, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) exclut une telle entreprise sur tout site en France présentant "un intérêt particulier" pour la géothermie.
Depuis plus de 11 ans, les associations anti-Cigéo tentent donc de démontrer le potentiel géothermique "exceptionnel" du sous-sol de Bure.
L'Andra réfute les accusations de mensonge. Au regard d'études qu'elle a diligentées en 2007-2008, "il existe un potentiel géothermal banal, commun" dans la zone de 30 km² étudiée, a répété à l'AFP Frédéric Plas, son directeur de la recherche et développement.
L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a aussi estimé en 2013 qu'au vu de ces tests, le potentiel géothermique de Bure n'était "pas de nature à remettre en cause le choix du site d'implantation du projet Cigéo", au regard des critères de l'ASN.
"Le préjudice des associations est inexistant", a plaidé l'avocat de l'Andra, Me Jean-Nicolas Clément, en demandant aux juges de débouter les antinucléaires. "Il n'y a pas de faute" et "ce qu'elles demandent aujourd'hui, l'information sur la qualité de la géothermie du site, est déjà mis en œuvre", a ajouté le conseil.
- Dans 500 ans, l'oubli -
De leur côté, les associations contestent la précision de ces études et réclament des forages plus profonds. En 2013, une contre-expertise de Geowatt, un bureau d'études suisse, avait conforté leurs doutes.
Elles espèrent "la condamnation symbolique" de l'Andra. Leur avocat, Me Etienne Ambroselli, qui réclame 3.000 euros par association, a fustigé à la barre la "désinformation" pratiquée selon lui par l'Agence.
Reste la bête noire des antinucléaires: l'oubli. L'exploitation de Cigéo est prévue pour durer au moins un siècle, mais qui se souviendra de sa présence dans 200.000 ans ?
"La perte de mémoire du site est évaluée à 500 ans par l'ASN", a soulevé Me Ambroselli: au-delà, les hommes auront oublié la présence des déchets radioactifs et risqueront de les "perforer" par mégarde s'ils souhaitent atteindre les poches d'eau chaude qui se trouvent au-dessous.
"Il y a un moment où le stockage sera oublié et où quelqu'un pourra venir faire des forages", a concédé M. Plas. Mais l'Andra ne voit aucune "incompatibilité entre le fait de construire Cigéo et une exploitation géothermale après fermeture".
L'Agence "étudie les conséquences de ces forages", dans le cadre "d'analyses de sûreté portant sur un million d'années", a-t-il assuré.
Avant l'audience, une vingtaine d'antinucléaires avaient manifesté devant le tribunal, chantant "Non, pas de déchets à Bure" sur un air de guitare.
Le tribunal de grande instance a mis sa décision en délibéré au 26 mars.