Partager:
Alain Durant est chauffeur routier. Déçu par le nombre d’articles de presse relayant les mauvais comportements des camionneurs, il a souhaité rétablir un équilibre. Responsable d’un syndicat, il a compilé les comportements dangereux des automobilistes filmés par les caméras des camions belges et nous a envoyé ces vidéos. Il distingue 7 principales erreurs commises par les conducteurs aux abords des camions, des erreurs qui peuvent se révéler fatales. RTL info vous explique ces comportements à éviter et les raisons pour lesquelles presque personne n’en a conscience.
Suite à
Chauffeur routier, il est également le responsable de L’Interface pour le Transport et la Sécurité Routière en Europe (ITSRE), une ASBL devenue un syndicat, le SECOP-ITSRE. "Nous sommes un peu révolté par les propos de Sébastien", nous dit-il. "Car si lui est excédé par ce type de problème, il en existe bien d'autres qui mettent aussi en danger le chauffeur routier."
Les comportements dangereux à éviter en présence de camions
Alain Durant en distingue plusieurs. Grâce aux dashcams, ces caméras présentes sur de plus en plus de camions en Belgique et dont les images litigieuses sont régulièrement envoyées au syndicat, voici, illustrés par ces vidéos, les comportements à proscrire si vous êtes automobiliste et partagez donc la route avec des camions:
COMPORTEMENT DANGEREUX N°1 : Les automobilistes qui dépassent un camion pour venir littéralement lui couper la route sur la bande de droite dans le but de plonger directement dans une sortie d’autoroute. Une manœuvre d’autant plus dangereuse quand cette bande de sortie d’autoroute est saturée...
"Chaque jour, nous sommes confrontés à des automobilistes qui dépassent nos camions au dernier moment avant, se jettent devant nous avec leur voiture et freinent brusquement... car la bande de décélération est saturée.
COMPORTEMENT DANGEREUX N°2 : Les voitures qui remontent la bande de lancement sur une autoroute pour s’insérer dans le trafic devant un camion.
"Vous êtes à 90 avec votre camion et les voitures ont environ 300m de bande de lancement pour se lancer. Mais ils vont vous dépasser sur cette bande et se jeter devant votre camion car c’est plus compliqué de s’insérer entre deux voitures, alors que nous on laisse toujours un petit espace devant nous."
M. Durant y voit deux problèmes. Premièrement, "le côté droit est le côté où un chauffeur voit le moins bien et pourtant, des milliers d'automobilistes s’arrogent le droit de dépasser dans ces conditions", explique-t-il.
Dépasser "par la droite" sur la bande de lancement d'une autoroute n'est pas une infraction
Ensuite, "la bande d'accélération est une bande de "lancement" qui vous permet d'accélérer, de prendre de la vitesse et de vous "intercaler" dans la circulation. A aucun moment il n'est autorisé de dépasser par la droite. C’est interdit par le code de la route". Il s’agit cependant d’une interprétation erronée de celui-ci. "Aux-Pays-Bas par exemple, il est clairement indiqué dans leur code de la route que l'on peut dépasser par la droite lorsqu'on monte sur autoroute pour s'y insérer en sécurité", explique Benoit Godart, le porte-parole de l’Institut Belge pour la Sécurité Routière (IBSR). "Mais la législation en Belgique n'est pas claire à ce sujet", nuance-t-il. Pourtant, pour l’IBSR, le fait qu’un panneau "cédez le passage" soit présent indiquerait qu’il ne peut s’agir d’un dépassement par la droite.
Une interprétation validée par Olivier Quisquater, porte-parole pour la Police fédérale de la route. Car s’"il n’y pas de définition en tant que telle" comme chez nos voisins d’Outre-Moerdijk, "cela ne peut être considéré comme un dépassement par la droite car tant qu’on n’a pas quitté la bande de lancement, on n’est pas sur la même chaussée." D'ailleurs, considérer qu’on ne peut rouler plus vite sur la bande de lancement que les véhicules circulant sur la bande de droite de l’autoroute entrainerait des situations "contreproductives". "Par exemple, dans la côte qui part du viaduc de Beez vers Daussoulx, sur la E411 à Namur, il y a une bande de lancement de pratiquement un kilomètre pour prendre la vitesse suffisante. Cela n’aurait aucun sens d’être obligé de s’insérer derrière les camions qui sont généralement ralentis à 60 km/h dans la côte à cet endroit", note Olivier Quisquater. Il reconnait cependant que "tout est affaire de raison : le signal cédez le passage implique qu’il est hors de question de faire une queue de poisson à un camion en montant sur l’autoroute simplement pour gagner quelques mètres..."
COMPORTEMENT DANGEREUX N°3 : Les automobilistes qui montent sur une autoroute à une vitesse cette fois inférieure à 90Km/h "et qui se jettent devant un camion qui ne pourra pas les dépasser, puisqu’il leur est interdit de dépasser sur les autoroutes à 2X2 bandes de circulation". Une fois de plus, la distance de freinage des camions est surestimée par les automobilistes.
COMPORTEMENT DANGEREUX N°4 : Dans les bouchons, les automobilistes profitent de l’accélération lente d’un camion pour s’intercaler devant lui. "Celui-ci mériterait tout l'attention des autorités", estime M. Durant, "car c'est un "sport national" des automobilistes qui viendront toujours s'intercaler entre une voiture et un camion car celui-ci est un peu plus lent au démarrage. Et comme par hasard, c’est presque toujours du côté droit, là où on ne les voit pas arriver à cause de l’angle mort ! Si on laisse 50m de distance de sécurité, 4 automobilistes vont se jeter dans le trou et freinent systématiquement devant vous. Le coup de frein devant camion, c’est systématique", déplore-t-il.
COMPORTEMENT DANGEREUX N°5 : Dépasser un camion dans le brouillard puis freiner car on ne voit plus rien devant soi.
"Par temps de brouillard (ça va être la saison !), les automobilistes dépassent un camion parce qu’ils voient son feu antibrouillard. Mais ils seront confrontés à un "mur de brouillard" après leur dépassement" si plus aucun véhicule avec feux antibrouillard ne les précède. "Ceci les fera ralentir et le chauffeur du camion se retrouvera derrière une voiture qui n’avance plus", dénonce encore M. Durant.
En effet, par temps de brouillard, le camionneur, plus haut dans sa cabine et donc plus loin de ses phares qu’un automobiliste, sera moins soumis à l’illumination du brouillard par les phares que ceux-ci. "On voit donc mieux quand on conduit un camion qu’un voiture." "Une explication toute simple à comprendre mas hélas jamais évoquée par le petit monde de la sécurité routière belge ni même européenne", déplore-t-il. Et ici, "le chauffeur du camion non plus n’a jamais été sensibilisé" sur cette problématique. Résultat : "En voyant un peu plus loin qu’un automobiliste, il a le sentiment qu’il pourra s’arrêter en cas de problème. Mais la réalité est toute autre..."
Le danger: l’automobiliste ne tient pas compte de la distance de freinage d’un camion... de 10 à 40 mètres de plus à 90 km/h !
Dans ces cinq cas, venir s’insérer devant un camion puis freiner représente le véritable danger, qui nait d’une méconnaissance des poids-lourds. "Un camion chargé, un 40 tonnes par exemple, ce n’est pas une voiture ou même une camionnette. Pour nous, un freinage d’urgence comme ceux auxquels nous obligent ces automobilistes irresponsables, c’est une très très grosse manœuvre."
Une simple comparaison permet de se rendre compte d’une énorme différence. Pour comparer ce qui est comparable, prenons une voiture et un camion roulant tous les deux à 90 km/h. En tant qu’automobiliste roulant devant un camion à la même vitesse que celui-ci, on aura tendance à penser qu’il pourra freiner comme nous. Mais si une voiture met 67,5 mètres pour revenir à 0 km/h sur une route sèche, un camion qui circule à vide, donc dans sa configuration la plus légère, met lui 77,6 mètres pour s’arrêter, soit 10 mètres de plus, selon les données fournies par l’Agence Wallonne pour la Sécurité Routière (AWSR) à l'ITSRE. Si on prend le même exemple, mais par temps de pluie avec un camion circulant à pleine charge, donc pesant plus de 40 tonnes, on arrive à des chiffres proprement hallucinants. L’automobiliste s’immobilisera alors en 87,75 mètres. Le camion, lui, mettra 131,6 mètres : donc plus de 40 mètres de plus que la voiture qui le précède !
Voilà pourquoi, malgré les distances de sécurité plus grandes que conservent les camionneurs, voir une voiture s’insérer dans le trou laissé devant eux est toujours une source de stress pour le chauffeur routier, et de danger pour l’automobiliste.
COMPORTEMENT DANGEREUX N°6 : Si un camion vous dépasse ou tente de s'insérer devant vous, n'accélérez pas.
Mais ce problème de ne pas tenir compte des distances n’est pas l’unique raison de la grogne des chauffeurs routiers envers certains conducteurs. Leur manque de courtoisie l’est également. Alain Durant s’irrite en effet de cette "faculté qu’ont les automobilistes belges, contrairement aux Hollandais ou aux Allemands, d’accélérer pour ne pas laisser un camion qui roule plus vite qu’eux les dépasser là où c’est permis. C’est aussi un sport national", dénonce-t-il. Même manque de courtoisie: accélérer pour ne pas laisser s'insérer un camion qui a mis son clignotant à l'approche d'un rétrécissement, comme avant une zone de travaux.
COMPORTEMENT DANGEREUX N°7 : Enfin, les conducteurs ne laissent pas suffisamment d’espace aux camions pour faire leurs manœuvres en marche arrière.
"C’est la problématique des angles morts d'un camion. Les automobilistes viennent se placer juste là où nous ne pouvons pas les voir lorsque l'on fait une manœuvre afin de rentrer dans une entreprise en marche-arrière." Un exemple concret : "Si on fait une marche arrière à main, donc avec un visuel sur la remorque car elle tourne côté gauche (voir schéma 2 ci-dessous, ndlr), tous les usagers, piétons comme automobilistes qui viennent se mettre du côté droit de la remorque, on ne les voit pas ! On doit régulièrement sortir de notre camion pendant la manœuvre pour s’assurer que personne ne s’y trouve et ne pas provoquer d’accident. Mais souvent, les voitures s’arrêtent à la limite de notre remorque."
Mieux connaitre les angles morts d'un camion peut vous sauver la vie
Ici, c’est la méconnaissance des angles morts des camions qui pousse les automobilistes à être imprudents. "Il y a 6 angles morts autour d’un camion", détaille M. Durant. Un à droite de la cabine, où le chauffeur ne peut tout voir dans ses rétroviseurs. C’est celui-ci qui est particulièrement dangereux lors d’insertions sur l’autoroute. On retrouve le même à gauche, même si là, la proximité du chauffeur avec la vitre peut lui permettre de voir ce qui s’y trouve en tournant la tête. Il y en a encore un petit juste devant la cabine, et un derrière, dans le prolongement de la remorque. Il faut aussi signaler les deux créés par la grande taille des rétroviseurs, qui peuvent cacher une voiture comme sur cette photo.
Puisqu’un schéma vaut mieux qu’un long discours, voici présentés ces angles morts... qui s’agrandissent dangereusement lorsque le camion tourne, comme lors de manœuvres en marche arrière. Ces schémas proviennent d’un rapport de l’ITSRE.
Si vous ne pouvez voir le visage du chauffeur, vous êtes mal mis !
Le truc à savoir pour rester à bonne distance est finalement assez simple. Il suffit de chercher le regard du chauffeur. En effet, si directement ou via les rétroviseurs, vous pouvez voir le visage du chauffeur, c’est que celui-ci peut aussi vous voir. Si vous ne le pouvez pas, vous vous trouvez alors dans un de ses angles morts et vous êtes donc en danger. En effet, selon l’ITSRE, la problématique des angles morts d’un camion tue chaque année en Belgique entre 10 et 20 cyclistes et piétons.
Un manque de sensibilisation des automobilistes aux contraintes d'un camion
Alain Durant s’étonne du nombre d’automobilistes qui mettent leur vie et celle des camionneurs en danger. "Quand je suis en voiture, je n’ai pas ce comportement-là aux alentour d’un camion." Mais la plupart des conducteurs ignorent les contraintes inhérentes à un véhicule qui peut aller jusqu’à 18.75 m de long et peser 44 tonnes. La raison ? Le manque de communication sur celles-ci envers les automobilistes. "On a créé l’ITSRE en 2006. On a rencontré des ministres et des organes comme l’IBSR, et personne ne veut nous entendre" déplore le camionneur. Et en effet, si Benoit Godart rappelle que l’IBSR avait lancé il y a quelques années une
L'idéal serait de pouvoir "tester" tous les autres types de véhicules
Pour Benoit Godart, "il est effectivement dommage qu’il n’y ait pas cette formation" aux contraintes des camions dans les cours théoriques pour le permis de conduire ou dans les auto-écoles. Voilà pourquoi "on conseille toujours à un automobiliste d’accompagner un chauffeur au moins une heure dans son camion." Intégrer un essai en camion dans le "cursus" pour obtenir son permis serait-elle une bonne idée? "Pourquoi pas", estime Olivier Quisquater de la police de la route. Mais il s’agirait d’une décision politique, et il faudra tenir compte des coûts que cela pourrait engendrer. Pour lui, d’un point de vue général, il serait pourtant bon que chaque usager de la route puisse se mettre à la place des autres en condition réelle, que ce soit en enfourchant un vélo, en prenant place sur un deux roues motorisé ou en accompagnant un camionneur.
Bientôt des cours de sécurité routière intégrés au "cours de rien"?
"On envoie régulièrement des communiqués pour sensibiliser à certains de ces problèmes, mais ils restent tous lettre morte", déplore également M. Durant. C’est pour remédier à ce manque d’information -et pour ne pas toujours relayer les critiques envers les camionneurs (même si celle-ci sont également fondées, chacun ayant toujours sa part de responsabilité sur la route)- que nous publions aujourd’hui cet article.
Et bientôt, les lecteurs de RTLinfo.be ne seront peut-être plus les seuls au courant. En effet, "on demande depuis 2006 plus de sécurité routière (au sens large, ndlr) à l’école. Et je viens justement de recevoir une réponse de la ministre de l’Enseignement Joëlle Milquet : la sécurité routière pourrait être intégrée aux cours de rien (Encadrement pédagogique alternatif, ndlr) et aux futurs cours de philosophie/citoyenneté. Quand j’ai lu la lettre, j’en ai pleuré", nous a confié Alain, qui verrait là une première récompense après presque 10 ans de combat.