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Il promet de "voler pour lui-même" mais s'engage "à donner aussi quelque chose au peuple": "Beli" s'est lancé dans la campagne pour moquer les politiques serbes, certains sondages l'annoncent désormais deuxième de la présidentielle dimanche.
Luka Maksimovic est un étudiant en communication de 25 ans. Quand il fait de la politique, il s'appelle "Beli" ("Blanc") ou encore Ljubisa Preletacevic, ce nom étant un jeu de mots pour désigner celui qui change de camp comme de chemise, une spécialité politique serbe.
A Mladenovac, dans la banlieue belgradoise, le jeune homme, costume blanc, barbe de hipster et cheveux mi-longs retenus en chignon façon samouraï, s'arrête sans cesse.
"M. le président. Je veux juste vous serrer la main et vous dire bonjour", dit un quinquagénaire. "Nous sommes venus de Belgrade uniquement pour vous rencontrer", crie une femme depuis sa voiture. "Frappe fort!" ("Samo jako!"), répond "Beli", reprenant son slogan abscons.
Le favori est le Premier ministre de centre droit, Aleksandar Vucic, qui entend l'emporter dès le premier tour. Mais "Beli" fait désormais jeu égal, voire devance dans certains sondages, les candidats pro-européens Sasa Jankovic et Vuk Jeremic, ou encore l'ultranationaliste d'extrême droite Vojislav Seselj. Tous tournent autour de 10%.
L'émergence du trublion a débuté en 2016. Avec des amis, il avait réalisé une vidéo pour moquer un personnel politique serbe gangréné par la corruption. Elle fait rire la Serbie et sa liste arrive deuxième aux municipales à Mladenovac.
Cette année, son clip de campagne le montre sur un cheval ou saluant ses supporteurs depuis le toit ouvert d'une vieille mercedes marron, prenant des pauses à la "Borat". "On recevra 16 salaires, on construira des maisons à trois étages et il n'y aura pas de guerre", entonnent des chanteurs vêtus de pantalons moulants bariolés, sur un air de turbo-folk. Une semaine après sa mise en ligne sur Youtube, elle a été vue près de 750.000 fois.
Ce succès "est une gifle, autant pour le pouvoir que pour l'opposition", analyse le trublion pour l'AFP. "Ils devraient se demander ce qu'ils ont apporté à ce pays pour qu'un personnage fictif se présente à la présidence et que les gens veuillent voter pour lui. Cela montre qu'il y a quelque chose qui ne va pas."
La classe politique se garde de critiquer "Beli". "Il montre d'une manière positive à quel point le processus électoral et les institutions sont devenus vides de sens", dit Sasa Jankovic, qui apparaissait jusqu'à l'émergence de "Beli" comme le principal rival d'Aleksandar Vucic. Celui-ci salue l'initiative: "J'apprends de ces garçons". Mais les tabloïds qui lui sont proches semblent moins enclins à l'accueil bonhomme, attaquant "Beli" sur des liens allégués avec le financier américain George Soros, souvent utilisé comme épouvantail dans les Balkans, ou avec l'organisation de jeunesse Otpor (Résistance) à la réputation subversive et qui avait joué un rôle crucial dans la chute de Slobodan Milosevic.
Le candidat répond à sa manière, à la troisième personne: "Ljubisa complote avec tout le monde. Tout le monde le paie. Il ne s'en cache pas. Il a même pris des cours de révolution" avec un responsable d'Otpor.
"Si l'opposition était bonne, un tel candidat n'existerait pas"
"Le système politique est dans un tel état qu'un personnage de fiction comme celui-ci mérite vraiment d'être président", ironise Jovo Bakic, professeur de sociologie à l'université de Belgrade. "Si l'opposition était bonne, un tel candidat n'existerait pas. Il a émergé parce que le système politique est pourri. C'est pour ça qu'il mérite d'être soutenu", "comme une voix contre un système corrompu", poursuit l'universitaire.
Une voix qui plaît notamment à des jeunes désabusés qui sont pour plus de 40% au chômage et rêvent d'exode. "Sans lui, je ne serais pas allée voter", dit une étudiante, Milena Selakovic, 20 ans. Son ami, Igor Gnus, 20 ans, regrette "qu'il tourne en ridicule la politique, une chose très sérieuse".
Mais derrière le burlesque, "Beli" a un message: "Nous sommes une génération oubliée, née juste avant, pendant ou après les guerres des Balkans. Nous avons grandi dans le chaos, sans perspective d'avenir. Les mêmes décident depuis 30 ans de notre destin. Ca suffit", argue-t-il.