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Par curiosité, Alain, de la région tournaisienne, a plongé un sac dit "biodégradable" dans une bassine d'eau afin de voir combien de temps était nécessaire avant qu'il ne se dégrade. Mais après plusieurs mois, le sac était toujours intact. "Si ces sacs se retrouvent dans la nature, ils ont tout le temps de polluer les océans avant d'être complètement dégradés", nous a écrit ce lecteur via le bouton orange Alertez-nous.
S'il a effectué cette expérience, c'est en partant du principe que ces sacs remplacent ceux en plastique qui finissent souvent au fond de nos océans ou encore dans l'estomac d'une baleine ou d'une tortue.
©Isopix
En réalité, il y a fort à parier que le sac biodégradable plongé dans la bassine d'eau ne se décompose... jamais, pas plus qu'un sac en plastique.
Pourquoi ?
Pour comprendre, il faut se pencher sur les différents types de sacs qui remplacent le sac en plastique à usage unique depuis son interdiction en Wallonie (mars 2017) et à Bruxelles (septembre 2018). Si le consommateur n'utilise pas à bon escient ces sacs, ils perdent tout leur intérêt.
C'est la mer qui est l'endroit le plus difficile pour la biodégradation
Deux sortes de sacs compostables
On utilise généralement à tort le terme "biodégradable" pour désigner un sac "compostable". Celui qu'on va le plus vraisemblablement avoir entre les mains, c'est ce dernier, reconnaissable grâce à la certification "OK compost". Composé généralement d'amidon de maïs ou de pomme de terre, on pourra, après utilisation, le placer sur le compost domestique où il se décomposera en quelques semaines.
"Dans le compost, le sac va se biodégrader. Il va se désintégrer physiquement, et ce processus va se faire sans effet toxique pour l'endroit où la biodégradation se produit", explique Philippe Dewolfs, Business manager chez TÜV AUSTRIA Belgium, l'organisme de certification des bioplastiques en Belgique. Ce sac compostable est donc prévu et pensé pour se désagréger dans les conditions d'un compost ménager. Pas dans la mer.
©RTLINFO
Le sac compostable lui-même peut être de deux types.
Il y a ceux qui sont prévus pour se dégrader dans un compost ménager, certifiés "OK compost HOME". On le trouve notamment au rayon fruits et légumes des magasins Colruyt. C'est l'alternative que la chaîne a trouvée lorsque les sacs en plastique à usage unique ont été bannis de nos rayons.
Et puis il y a les sacs compostables dans un compost industriel, ils sont certifiés "OK compost Industrial" par le même organisme de certification des bioplastiques, TÜV AUSTRIA Belgium. Par exemple, les sacs de collecte des déchets de jardin en Région de Bruxelles-Capitale sont emmenés dans un centre de compostage industriel où ils sont compostés avec leur contenu (feuilles mortes, déchets de tonte de la pelouse, etc.).
On fait la distinction entre les deux types de compost car il ne s'agit pas d'un même environnement, ni des mêmes conditions de dégradation.
©Bruxelles Propreté
"Un centre de compostage industriel, c'est le paradis pour les microorganismes qui procèdent à la biodégradation du sac car ils ont là tout ce qu'il faut : la température, l'humidité, ils ont vraiment un environnement favorable, nous explique Philippe Dewolfs. Au plus on va descendre dans la hiérarchie des environnements, au plus il va être difficile de biodégrader. C'est la mer qui est l'endroit le plus difficile pour la biodégradation. Et donc forcément, un sac qui a été prévu pour se biodégrader dans un centre de compostage industriel ou dans un compost au fond du jardin, aura davantage de difficultés à se biodégrader dans la mer."
Dans ces centres de compostage industriel, tout va être mis en œuvre pour que les conditions soient optimales. "Il y a une intervention humaine qui va viser à assurer un certain niveau de température, d'humidité, des conditions favorables à la biodégradation et à la désintégration. Les andains (tas en ligne, NDLR) de déchets verts vont être retournés régulièrement pour favoriser l'oxygénation. Avec les quantités qui sont mises en œuvre, on va atteindre des températures relativement élevées au sein du tas qui est en train de se décomposer, qui vont favoriser la biodégradation et la désintégration des sacs", ajoute notre spécialiste.
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L'importance de l'environnement
Dans son jardin, le compost n'atteindra pas une telle température et ne sera pas aussi régulièrement retourné qu'en milieu industriel. Il est donc prévu que le sac compostable à domicile mettra environ 6 mois à se décomposer.
En revanche, si vous le laissez dans la forêt, il mettra beaucoup plus de temps à se désintégrer.
Et plongé dans une rivière ou dans la mer, cela mettra beaucoup de temps également. En milieu marin, il y a peu d'activité, peu de microorganismes et une température basse, des conditions mauvaises pour qu'un tel sac se biodégrade.
Récemment, l’Unité internationale de recherche sur les déchets marins de l'université de Plymouth, en Grande-Bretagne a fait le test en exposant durant 3 années plusieurs types de sacs à 3 environnements différents : à l'air libre, enterrés dans le jardin et dans l'eau de mer. Les résultats, publiés dans la revue Environmental Science and Technology, démontrent des résultats peu satisfaisants, y compris pour les alternatives écologiques.
"Nos résultats ont montré qu'il n'était possible de se fier à aucun de ces sacs pour montrer une détérioration substantielle dans tous les environnements", ont noté les auteurs de la recherche.
À l'air libre, tous les sacs testés par les chercheurs ont mis 9 mois à se désagréger. Et dans le cas qui nous intéresse plus particulièrement, le sac compostable plongé dans l'eau de mer, il a mis 3 mois à se détériorer.
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Le certificateur pour la Belgique TÜV nous explique que la certification "OK biodégradable MARINE" existe, mais ne se retrouvera jamais sur un sac étant donné que celui-ci n'a pas vocation à se retrouver dans un océan, et qu’il ne faut donc pas cautionner l’abandon des sacs dans la nature par la présence d’un tel logo. En revanche, cette certification de biodégradabilité en milieu marin a du sens pour un filet de pêche par exemple. "On peut imaginer que les filets de pêche de mer, par usure, par vieillesse, terminent leur vie au fond de la mer. Cela aurait un sens que ce filet soit biodégradable en milieu marin", explique Philippe Dewolfs.
La communication et l'éducation jouent un rôle essentiel : il ne doit tout simplement pas être admis qu'un emballage, quelle que soit sa composition, soit jeté dans la nature. "C'est pour ça qu'on ne certifie qu'un certain nombre de produits limités, insiste le spécialiste. Ce n'est pas parce que c'est biodégradable que ça donne le droit de jeter ça n'importe où. Il y a une partie d'éducation du citoyen qui est très importante".
Le problème, c'est l'utilisation de produits à usage unique. On doit sortir de cette mentalité du tout jetable
Éduquer au réutilisable
Jeroen Verhoeven, expert en produits à usage unique chez Greenpeace, va plus loin : pour lui, c'est en réalité tout notre mode de consommation qui est à revoir.
"Pour nous, la solution passe par la réduction de plastique. Il faut qu'on l'utilise uniquement là où il est vraiment utile, et qu'on emploie du plastique recyclé et/ou réutilisable", explique-t-il. Greenpeace estime que cette alternative du sac biodégradable n'est pas une solution : "La solution ne passe pas par le biodégradable car cela dévie l'attention sur ce qu'on doit faire. Le problème, c'est l'utilisation de produits à usage unique. On doit sortir de cette mentalité du tout jetable", ajoute l'expert.
Les acteurs de terrain se rejoignent : la solution réside dans le réutilisable. "Il existe de nombreuses alternatives aux sacs en plastique jetables : les sacs en tissu, en papier ou les sacs réutilisables, préconise l'ASBL Écoconso. Par ailleurs, le risque d'abandon dans la nature est diminué par le passage du jetable au réutilisable".
L'objet réutilisable, qui a souvent plus d'impact à la fabrication, rembourse sa 'dette' lors de ses réutilisations
C'est un geste citoyen à adopter dans notre quotidien pour Renaud De Bruyn, expert en déchets, expert en déchet chez Écoconso : "Les objets réutilisables ont moins d'impact sur l'environnement que les objets jetables. C'est le cas pour les sacs de caisse, les gobelets, les bouteilles de boissons... pour citer quelques exemples d'objets dont les écobilans montrent que les versions réutilisables sont préférables aux jetables. L'objet réutilisable, qui a souvent plus d'impact à la fabrication, rembourse sa 'dette' lors de ses réutilisations", souligne-t-il.
Actuellement, il reste un énorme travail à effectuer auprès des particuliers pour y parvenir. Il n'y a qu'à se balader sur un marché le samedi matin pour s'en apercevoir : de nombreux marchands ambulants continuent de proposer des sacs plastiques, et les clients de les accepter… Alors que l'interdiction de ces sacs est en place depuis 2017 en Wallonie, 2018 à Bruxelles, tandis que la Flandre n'a toujours passé le cap. "La police de l’environnement peut interpeller les commerçants, procéder à des contrôles sur place et dresser des PV si nécessaire. De tels contrôles et PV sont déjà survenus. Mais chaque client est également invité à se munir de ses propres sacs et à refuser les sacs non réutilisables qu’on lui proposerait", rappelle-t-on au cabinet du ministre wallon de l'environnement Carlo Di Antonio.
Dans les rayons fruit et légumes des supermarchés
Passer au réutilisable passera donc forcément par une réglementation plus stricte du bannissement total du sac/emballage à usage unique. La prochaine échéance, c'est dans moins d'un an avec l'interdiction des sacs à usage unique aux rayons fruits et légumes des supermarchés. Cette interdiction totale vise donc également les sacs compostables, puisqu'ils sont destinés à être utilisés, puis jetés. Même si c'est au compost, l'aspect "usage unique" est une très mauvaise habitude à changer chez tous les consommateurs.
"À partir du 1er mars 2020, l’usage de sacs compostables à usage unique pour l’emballage primaire de fruits et légumes commercialisés en vrac sera interdit à son tour, les commerçants ayant dû mettre à profit le temps laissé par la réglementation pour déployer de nouvelles solutions, tels que les filets réutilisables, explique le porte-parole du ministre Di Antonio. Passé cette date, les sacs compostables à domicile restent admis pour une seule application : l'emballage, par le commerçant, de denrées alimentaires humides ou liquides ou contenant des liquides, et vendues au détail, pour autant que les sacs soient scellés au comptoir de service, et comportent une teneur minimale en matière biosourcée".
Cela dit, dans des communes et commerces s’inscrivant dans l’optique "zéro déchets", les consommateurs sont encouragés à venir avec leurs conditionnements réutilisables. Ces pratiques commencent à bien se développer et devront être évaluées à terme.
Il y avait donc urgence à ce que les supermarchés mettent en place des solutions alternatives durables dans leurs rayons fruits et légumes. Des pistes différentes selon les groupes ont été amorcées, et elles obligeront peu à peu les consommateurs à prendre de nouvelles habitudes.
Ce sera le cas dans les supermarchés du groupe Colruyt où les sacs compostables disparaîtront très prochainement des rayons fruits et légumes. Leurs magasins Bio Planet ainsi que quelques magasins pilotes utiliseront dès le mois de juin 2019 des sacs réutilisables, lavables et pouvant contenir jusque 4 kilos de fruits et légumes (la tare étant automatiquement soustraite à la caisse). Pour encourager les clients dans leur démarche, les 5 premiers sacs leurs seront offerts. L'objectif du groupe Colruyt est d'économiser pas moins de 150 millions de sachets en plastique par an, ce qui équivaut à 630 tonnes de plastique chaque année…
Pas besoin d'emballage pour des bananes
Les supermarchés Delhaize avaient pris les devants dès 2018 en proposant des sachets en papier gratuits dans les rayons fruits et légumes. "Cela représente 80 millions de sacs plastique qui n'ont pas été produits en moins d'un an", explique Karima Ghozzi, porte-parole de Delhaize. Cela reste des emballages à usage unique mais les clients ont également la possibilité d'acheter des sacs en coton, réutilisables, à 50 centimes. "Depuis qu'on les a lancés en septembre 2018, on en a vendu 500.000. Nos collaborateurs observent que les gens viennent de plus en plus avec leur propre sac", ajoute la porte-parole.
Mi-mai, Delhaize annonçait franchir un nouveau cap dans ses rayons fruits et légumes : désormais, les fruits et légumes seront "tant que possible", lit-on sur leur site, vendus sans emballages. Pour le raisin ou pour des bananes par exemple, pas besoin d'emballage, explique l'enseigne de grande distribution. En revanche, pour un produit comme le bouquet de persil, l'emballage permet de conserver le produit plus longtemps, se défend Delhaize. Pour l'instant, cela sera seulement testé dans quelques enseignes, mais à long terme l'ambition est de généraliser ces mesures.
Du côté des supermarchés Lidl, des sacs compostables à domicile sont actuellement utilisés et dès cet été, ils proposeront des sacs réutilisables, 100% composé de polyester.
Enfin, les supermarchés Carrefour se préparent aussi à cette future interdiction. Le groupe utilisait également les sacs compostables au rayon fruits et légumes, mais ceux-ci-seront amenés à être interdits. Carrefour n'a pas encore fait d'annonce que ce qui va les remplacer mais d'autres solutions sont étudiées et des sacs réutilisables en tissu sont déjà disponibles aux rayons fruits et légumes de ces supermarchés. Marco Demerling, le porte-parole insiste : "chaque année, c'est 800 à 2.000 emballages qui sont retravaillés dans une logique durable. Par exemple, les shakers à légumes sont en carton plutôt qu'en plastique".
Dans les prochains mois, les consommateurs belges vont donc devoir s'habituer à utiliser des sacs réutilisables de manière systématique, comme cela a déjà été initié lors de la disparition des sacs de caisse. Des réflexes et une bonne organisation à adopter : désormais, en plus de votre liste de courses, de vos bouteilles consignées, de vos sacs de caisse réutilisables, il vous faudra penser à vos sacs à fruits et légumes au moment de faire vos courses.
Outre l'interdiction en vigueur dès mars 2020 des sacs à usage unique aux rayons fruits et légumes des grandes surfaces, 2021 verra un cap important de franchi avec une nouvelle réglementation européenne qui visera de nombreux objets en plastique aux effets dévastateurs pour la planète : les coton-tiges, les pailles, les couverts et autres gobelets en plastique.