Chaque année, le festival Tomorrowland est l’occasion pour certains de gagner de l’argent facilement, mais illégalement, en faisant commerce des billets d’entrée. Benjamin, qui a échoué 4 années de suite à acheter des places, exprime sa rancœur contre ces revendeurs.
Benjamin, 29 ans, nous a contactés via notre bouton orange Alertez-nous pour nous faire part de son amertume concernant la vente des places pour le festival Tomorrowland. Celle-ci devient "chaque année plus problématique", estime-t-il.
Créé en 2005, ce festival de musique électronique qui a lieu en juillet à Boom, dans la province d'Anvers, affiche complet à chaque édition depuis 2009. Pour faire face à cette affluence, l’événement se tient désormais sur deux week-ends. Mais les tickets disparaissent toujours en quelques minutes, et de nombreux fans restent sur le carreau. Depuis 4 ans, Benjamin se met en quête du précieux sésame dès que possible, en suivant rigoureusement les étapes nécessaires. Il se préinscrit en janvier et tente d’acheter ses places dès le début de la mise en vente. En vain. "Jamais je n'ai réussi à en avoir", regrette-t-il.
Des tickets revendus bien plus chers en seconde main
Samedi 28 janvier à 11h, Benjamin est au rendez-vous, devant son ordinateur sur le site internet de Tomorrowland, pour le moment fatidique de la mise en vente des billets.
"C’est censé être un système du premier arrivé, premier servi", explique-t-il. "Mais j’ai l’impression que c’est ‘plic ploc’ au hasard", juge-t-il d’après ses multiples tentatives.
Après 20 minutes de vente réservée au public belge, tous les tickets sont vendus.
Une deuxième vente, ouverte au public non belge, a lieu à 17h le même samedi, puis une troisième le 4 février. "J’ai essayé de faire les 3 ventes. Sans succès", regrette-t-il.
"Ce que je trouve scandaleux, c'est de constater qu’à 11h25 (soit 25 minutes après le début des préventes réservées aux Belges), alors que j'attends toujours dans la fameuse file d'attente, on retrouve déjà sur certains sites de vente en ligne comme 2emain.be de nombreuses places à vendre, et cela à des prix exorbitants", déplore-t-il.
Benjamin évoque le cas d’une personne qui a mis en vente 10 pass complets pour les 3 jours de festival, alors que la vente officielle est limitée à 4 places par personne. "Il se vante même de savoir comment déjouer les pièges pour revendre les places et ne pas se faire blacklister par l'organisation du festival", constate-t-il.
Ces personnes achètent et revendent les places uniquement pour du business... Et certaines places journalières achetées à peine plus de 100€ lors de la vente, s'arrachent déjà à plus de 400€ l'unité aux enchères. Je trouve cette pratique scandaleuse, car celle-ci empêche des personnes réellement intéressées par le festival d'obtenir des places, ou alors il faut se ruiner pour en obtenir.
Nous nous sommes rendus sur 2emain.be où nous avons pu vérifier le constat de Benjamin. Un certain Greg de Waterloo propose deux "pleasure pass" pour le vendredi 28 juillet pour 500 euros quand le prix initial pour ces deux places s’élevait à 250 euros. Julien S de Braine l’Alleud "lâche directement", écrit-il, ses trois "Magnificent Greens Package" pour 2000 euros au lieu de 870. Ruddy de Silly, moins gourmand, propose 5 places à 850 euros au lieu de 625. Un internaute de Bruxelles propose un "Easy tent pass" pour deux personnes à 1.400 euros, "acheté 1007 euros", précise-t-il dans un souci de transparence…
La revente des tickets à un prix supérieur est interdite
Toutes ces annonces sont illégales. En Belgique, une loi entrée en vigueur en octobre 2013 fixe les conditions de revente des titres d'accès à des événements. La revente occasionnelle n’est autorisée que si le prix ne dépasse pas le prix initial. La revente de manière habituelle est interdite.
La difficile lutte contre le marché noir
Les organisateurs ont bien conscience du problème et ont pris des mesures pour tâcher de le régler. Tous les tickets doivent être nominatifs. Pour cela, après la vente sur internet, les acheteurs doivent personnaliser leurs tickets entre le 6 et le 24 février. Les festivaliers doivent rentrer leur nom, prénom, date de naissance dans un formulaire et reçoivent un billet électronique en retour. "Grâce à cette personnalisation, il est impossible d’acheter ou revendre des billets de seconde main", peut-on lire sur le site de Tomorrowland. C'est totalement faux. Car, en pratique, les revendeurs profitent de ce laps de temps (entre le 6 et le 24 février) pour proposer leurs billets sur le marché noir.
"Les billets seront personnalisés chez moi en votre compagnie", écrit Greg sur 2ememain.be. "Enregistrement des places à mon domicile", précise aussi Rudy sur sa petite annonce. "Les tickets seront personnalisés en même temps que les miens. Payement par virement ou cash. Rencontre possible", propose Julien S.
Les personnes enregistrées reçoivent un billet électronique puis, au mois de juillet, leur bracelet Tomorrowland, qui est la seule garantie de l’entrée à l’événement. À l’entrée, les festivaliers doivent présenter leur carte d’identité et faire scanner le code barre de leur bracelet.
"Une équipe essaye de chercher qui propose ces billets sur les sites de ventes d’occasion", explique Debby Wilmsen, porte-parole de Tomorrowland. Ces billets sont bloqués. Vous ne pouvez plus obtenir votre bracelet". Une adresse email (fraude@tomorrowland.com) a été créée pour dénoncer ces annonces à des prix supérieurs au prix officiels. Ceux qui veulent revendre leur ticket peuvent le faire sur une page dédiée du site officiel. Mais ces mesures ne paraissent pas très efficaces au vu du nombre d'annonces de revente de tickets qui fleurissent notamment sur 2ememain.be.
"J'espère faire une centaine d'euros de bénéfices"
Nous avons contacté l’un de ces revendeurs qui a bien voulu répondre à nos questions sous couvert d’anonymat. "J'espère, pour le coup, faire une centaine d'euros de bénéfice par ticket (donc à peu près 30% de marge)", estime cet homme de 40 ans, qui habite Frasnes-lez-Anvaing.
S’il comprend la déception de Benjamin, il juge que la vente de tickets à profit est marginale. "De plus, il s'agit d'un festival 100% commercial", argue le revendeur. Il estime donc normal que les prix de ces billets répondent à la loi de l'offre et la demande, comme les autres produits. "Tomorrowland est un festival réservé aux personnes qui ont de l'argent (prix d'entrée énorme)", ajoute-t-il.
2ememain.be compte sur ses utilisateurs pour garder la plateforme conforme à la loi
Petra Baeck, chargée de communication de 2ememain.be, connait le problème. "Le SPF Economie nous signale des abus. Cela arrive surtout pendant l’été, quand c’est vraiment la saison des concerts", explique-t-elle. "On a à peu près 60.000 nouvelles annonces par jour. Il est impossible pour nous de les contrôler avant qu’elles soient publiées", poursuit-elle. "Ce n’est pas notre rôle", juge-t-elle.
La loi de 2013 relative à la revente de titres d'accès à des événements précise que "le fait d'exposer en vue de la revente de manière habituelle, et le fait de fournir les moyens qui seront utilisés pour une revente de manière habituelle, sont interdits". Mais pour Petra Baeck, la responsabilité de 2ememain.be, qui propose une rubrique "billets – concerts", n’est pas engagée : "On compte sur la communauté pour garder la plateforme conviviale et conforme à la loi. Les gens qui placent leur annonce donne leur accord de respecter la loi. C’est dans nos conditions d’utilisations. Quand les utilisateurs signalent un abus, on réagit tout de suite."
"La responsabilité ce type de plate-forme ne peut se substituer à celle du vendeur"
Etienne Mignolet, porte-parole adjoint du SPF Economie, nous a expliqué qu’une rubrique d’un site internet consacrée à la revente de billets pour des événements n'est "pas contraire à la réglementation", parce que la revente de ces billets n'est pas interdite en soi. "Ce qui est interdit, c'est d'en tirer un bénéfice", rappelle-t-il. La loi relative à la revente de titres d'accès à des événements vise les sites qui sont spécialisés dans ce domaine, indique-t-il. Dans le cas de 2ememain.be, la revente de billets n’est "qu’une infime partie de leur activité", précise-t-il.
"La responsabilité ce type de plate-forme ne peut se substituer à celle du vendeur (qui au 1er chef, doit respecter la loi), c’est à dire qu'elle ne pourrait, par exemple, pas être tenue de rembourser", explique monsieur Mignolet.
En revanche, en tant qu’intermédiaires, ces plateformes sont tenues de "prendre les mesures adéquates pour faire cesser des pratiques qui lui auraient été signalées". "À ce titre, je peux vous indiquer que 2ememain.be collabore activement et de manière constructive avec l'Inspection économique", conclut le porte-parole adjoint du SPF Economie.
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