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A 30 ans, Thibaut a été victime d'un pneumothorax: son poumon s'est décollé. Alors qu'il souffrait quand il fumait, depuis qu'il vapote, il n'a plus mal. Le jeune homme ne comprend donc pas pourquoi certains articles semblent détruire l'image de la cigarette électronique alors qu'il n'y voit que des bénéfices. Avec deux spécialistes parfois opposés sur le sujet, un pneumologue et un tabacologue, cet article tente de décrypter le vrai du faux en matière de e-cigarettes.
"Je trouve anormal que nos médias ne parlent pas de la cigarette électronique de façon positive. Je ne vois sur vos sites que des informations sur celles qui explosent ou leur utilisation dite nocive", déplorait Thibaut dans un message envoyé via
"Les explosions ?
"Boum, mon poumon est tombé"
Contacté, Thibaut a accepté de nous livrer son histoire. "J'ai 34 ans, je travaille dans l'IT et je suis fumeur depuis l'âge de 16 ans. Vers mes 30 ans, j'ai fait un pneumothorax. Une déchirure au niveau de la plèvre qui a entraîné l'effondrement de mon poumon et c'est vraiment arrivé subitement: un matin, je me suis levé, j'ai pris un café, j'ai déposé mon doigt sur mon écran tactile et "boum", mon poumon est tombé !", explique le jeune homme.
L’opération fut douloureuse, tout comme la suite. "On m'a introduit un tube au niveau du thorax pour faire le vide d'air et remonter mon poumon pour qu'il se regonfle à partir de l'intérieur, donc du vide qui s'était créé. Je suis resté avec un genre d'aspirateur pendant une semaine, le temps que le poumon se recolle à la plèvre. Et là où ça s'était déchiré, j'avais vraiment une grosse cicatrice. Plus aussi une à l'arrière, là où on m'avait mis le drain. Ce faisait affreusement mal."
"J'ai été totalement soigné mais je n'ai pas réussi à arrêter de fumer. Le pneumothorax me laisse encore des séquelles. J'avais encore assez fréquemment des douleurs au niveau de la cage thoracique. Dès que je prenais une cigarette, je vous laisse imaginer ce qui se passait...", témoigne-t-il.
"Plus mal depuis que je vapote"
L'envie d'aller mieux était pourtant là. "J'ai essayé pas mal de choses que mon médecin m'avaient prescrites, mais sans grand résultat. Il y a +/- un an et demi / deux ans, un ami de longue date m'a proposé de commencer à vapoter. Je vous avoue qu'après une semaine, c'était terminé, j'avais totalement arrêté la cigarette ! Avant, je me levais le matin et je fumais une cigarette. Dès ce moment-là jusqu'au moment d'aller dormir, j'avais mal. Et ici, après 2 ou 3 mois de vapotage, c'était terminé, plus rien! Donc je pouvais recommencer à travailler correctement, à me mouvoir, à faire du sport."
Parce qu'il tousse moins
Médicalement, la disparition de la douleur de Thibaut n’est pas directement liée à l’e-cigarette. "Qu’il ait eu moins mal avec la cigarette électronique qu’avec la cigarette classique, je ne vois pas nécessairement le rapport", nous avoue le Pr Pierre Bartsch, pneumologue et professeur à l’Université de Liège.
En effet, si la vapeur des cigarettes électroniques est "moins irritante pour les poumons, ce qui ne fait aucun doute et est accepté par tous les médecins", la douleur ne provient pas de l’intérieur des poumons, des alvéoles, mais bien "de la plèvre, l’enveloppe externe. Le fait de fumer ne déclenche donc pas de douleurs" internes, "sauf en cas de cancer qui aurait envahi la cage thoracique".
La seule explication à la disparition de sa douleur, c’est qu’il tousse moins depuis qu’il est passé à l’électronique. En effet, "les gens qui ont subi une chirurgie thoracique peuvent garder des douleurs pariétales parfois longtemps. Et s’il était un tousseur régulier, il ressentait donc des douleurs liées à cette toux. Le fait d’être passé à la cigarette électronique moins irritante réduit cette propension à tousser et donc les douleurs causées par la toux."
OUI, la cigarette électronique est moins nocive à court terme
Suite à son expérience personnelle, Thibaut est devenu un fervent défenseur de la vapoteuse et s’est mis à se renseigner à son sujet. "Je n'y vois que des effets bénéfiques. Ce n'est pas totalement inoffensif, mais beaucoup d'études nous portent à croire que c'est 95% moins nocif que la cigarette."
"Vous n'avez pas le goudron, vous n'avez pas toutes les saloperies comme le cyanure qu'on peut trouver dans une cigarette. Lorsque vous voyez le tableau d'éléments qu'on peut retrouver dans une cigarette, vous pouvez en avoir une cinquantaine ! Dans une cigarette électronique, si vous retirez la nicotine vous en avez 3: le propylène glycol, la glycérine végétale et l'arôme. Le propylène glycol est utilisé déjà dans toutes les machines à fumée. On pourrait dire que toutes les discothèques pourraient totalement arrêter de mettre de la fumée dans leurs locaux, c'est tout aussi nocif...", ajoute-t-il pour défendre la cigarette électronique.
Notre spécialiste ne le nie pas : "Tout le monde ou presque -c’est comme pour les climatosceptiques- s’accorde à dire que la cigarette électronique est moins toxique que la cigarette classique. Mais on ne peut pas affirmer que la cigarette électronique n’est pas toxique du tout."
"Les pneumologues sont très friands de la cigarette électronique car ils veulent supprimer les symptômes, donc éliminer les éléments toxiques dans les poumons. Ça vaporise un liquide moins toxique que la fumée de cigarette, c’est donc à leur sens une bonne opération, ça soigne des gens malades", estime pour sa part Martial Bodo, psychologue et tabacologue à l’Institut Bordet. "Mais à moyen et long termes, ce n’est qu’un demi-cadeau. Si le patient ne souffre plus au niveau pulmonaire, il maintient un dispositif de dépendance physique à la nicotine, psychologique et comportementale. C’est le même phénomène sous une autre forme. Et si pour une raison quelconque, il n’était plus possible pour lui de vapoter, la solution consistera à récupérer des cigarettes originales. Le vrai cadeau consisterait à passer à tout autre chose", estime-t-il.
NON, la cigarette électronique n'aide pas à arrêter de fumer...
On retrouve dans les positions de ces deux spécialistes la raison pour laquelle les articles sur la cigarette électronique sembleront une fois en vanter les mérites, et une autre fois la critiquer sévèrement. Celui qui soigne le corps y verra une option moins dangereuse que la cigarette traditionnelle, celui qui soigne l’esprit n’y verra qu’un prolongement de l’addiction première, avec les dérives qu’elle peut amener.
Pourtant, le Pr Pierre Bartsch n’a pas une opinion si éloignée du Dr Bodo. Ils s’accordent sur le fait que la vapoteuse n’est PAS une solution pour arrêter de fumer. "La dernière méta analyse ne montre pas sans ambiguïté que la cigarette électronique permet d’augmenter le sevrage tabagique. On n’a pas assez d’arguments pour ça", concède-t-il.
"Mais si c’est pour remplacer une addiction par une autre addiction moins toxique, c’est toujours ça de gagné. Je suis donc plutôt favorable à la cigarette électronique pour réduire la quantité de cigarettes fumées. C’est toujours ça de pris. Car la toxicité des cigarettes est proportionnelle à la dose fumée. Mais je ne conseillerai jamais à des jeunes la cigarette électronique récréative par exemple !", estime le pneumologue.
... au contraire, elle pourrait être un frein à l'arrêt du tabac
Pour le tabacologue, cigarette électronique ou pas, arrêter de fumer "n’est possible que si le fumeur veut réellement arrêter". Et là, c’est lui qui rejoint son confrère pneumologue. "S’il veut continuer à fumer et juste limiter les dégâts, alors oui, la cigarette électronique est une option."
"Mais s’il veut totalement arrêter, elle risquerait au contraire de ralentir son processus de changement de comportement. Il serait alors dommage qu’un pneumologue propose la cigarette électronique en première ligne et n’envisage pas comme première solution l’arrêt total de la cigarette. Il serait alors judicieux qu’il réfère son patient à un tabacologue. Apprendre le piano, nager, jouer à des jeux en famille, faire de câlins à son conjoint, dormir, lire, ... la liste des choses à faire pour ne pas fumer et qui sont bien meilleures pour la santé physique et mentale est longue..."
Personne ne connaît ses effets à long terme
Tous deux admettent également que la vapoteuse doit être utilisée en sachant qu’à long terme, elle pourrait se révéler dangereuse. "On n’en saura rien avec 20 ou 30 ans", explique Pierre Bartsch. "Personne aujourd’hui ne peut affirmer" qu’elle est ou non inoffensive à long terme, puisque la science n’a pas le recul nécessaire actuellement. Il faudra attendre que d’éventuels cas de maladies se déclarent. "Ce ne serait pas surréaliste d’entendre dans 8 ans qu’on en revient car la surconsommation de cette vapeur nocive s’est révélée dangereuse pour la santé", estime Martial Bodo.
D’autant que même aujourd’hui, certains risques sont méconnus. "Il y a parfois un manque de contrôle sur les tas d’arômes différents proposés", estime le pneumologue. Le tabacologue, lui , "rappelle que la nicotine, ce n’est pas de la vitamine D. Ça n’altère pas le fonctionnement des alvéoles pulmonaires, mais ça a des conséquences cardio-vasculaires" : elle favorise en effet la formation de plaques d’athérosclérose. Elle n’est donc pas totalement inoffensive, en plus de l’addiction qu’elle crée.
A quel jeu jouent les cigarettiers dans cette histoire?
Et puis, de manière éthique, vapoter c’est parfois aussi rapporter de l’argent aux cigarettiers. "Les cigarettes électroniques, au début les cigarettiers ne les ont pas vues venir. Il s’agissait d’un marché parallèle qu’ils ont vite pénétré. Les gros cigarettiers style Phillip Morris sont sur coup, même s’ils n’en font pas la pub. Ils se sont emparés de ce marché car ils s’y retrouvent. Ils continuent à vendre de la nicotine, qui est un produit qui crée une forte dépendance physique. Et de manière indirecte, la cigarette électronique a redonné un second souffle à la cigarette classique. Ce sont des frères jumeaux", estime Martial Bodo.
Mais si d'un côté, les cigarettiers préparent l'avenir en investissant le marché des cigarettes électroniques, ils font en parallèle un lobbying intense pour préserver leur bénéfices sur le tabac le plus longtemps possible. Ils seraient à la base des règles très contraignantes adoptées récemment par l’Europe concernant les cigarettes électroniques et qui entreront en vigueur en Belgique le 17 janvier prochain. Ce qui fait craindre à Thibault et à