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Fin avril, le Parlement européen a voté une augmentation de l'enveloppe dont chaque député dispose pour rémunérer son équipe. Une décision peu médiatisée qui laissait entendre que tous les eurodéputés ou presque avaient été en faveur de celle-ci. La réalité est bien plus nuancée. En effet, presque tous les Belges au Parlement européen étaient par exemple contre. Mais ils n'ont pas eu gain de cause. L'homme qui a négocié le budget global, Gérard Deprez (MR), est pourtant parvenu à conditionner cette augmentation à une meilleure utilisation de cet argent. Mais sur le fond, les arguments des "pour" semblent bien faibles par rapport aux arguments des "contre".
Le 29 avril dernier, les eurodéputés ont voté une mesure qui ne concerne qu’eux: ils ont augmenté de 1500€ l’enveloppe dont ils disposent pour rémunérer leur équipe, donc pour payer leurs assistants parlementaires. Ils passent ainsi de 21.379 à 22.879 euros par mois.
Un changement voté en toute discrétion, à l’instar finalement de beaucoup de décisions du Parlement européen. Il faut reconnaitre que leurs débats, parfois éloignés des préoccupations des citoyens, ne passionnent pas les foules, journalistes y compris. C’est ainsi que, comme nous l’a signalé Carmen
Une affirmation partiellement vraie. Dans les médias traditionnels belges, seuls L’Echo, Het Laatste Nieuws et le site internet de la RTBF ont relayé une dépêche Belga rapportant l’information. Résultat: des sites d’information alternatifs ont rapporté la même information, mais avec moins de précision. La plupart annonçait par exemple que seuls les Verts avaient voté contre cette augmentation. A part Philippe Lamberts (Ecolo) et Bart Staes (Groen), nos 19 autres eurodéputés belges auraient donc accepté ces 1500€ en plus sans broncher? La réalité est beaucoup plus nuancée. Pour la comprendre, il faut explorer le système complexe qui régit les institutions européennes.
DE TRES NOMBREUX EURODEPUTES, DONT PRESQUE TOUS LES BELGES, ETAIENT CONTRE
Premièrement, cette augmentation de l’enveloppe qui permet à chaque eurodéputé d’engager un ou plusieurs assistants parlementaires de plus fait partie d’un plus grand paquet de mesures. Il s’agit de la "proposition de résolution du Parlement européen sur l'état prévisionnel des recettes et des dépenses du Parlement européen pour l'exercice 2016". En termes plus simples, c’est le budget prévisionnel 2016 du Parlement européen (voir encadré), qui prévoit des dépenses de l’ordre de 1,8 milliards d’euros. Il ne faut pas le confondre avec le budget de la Commission européenne, qui lui pèse quelque 140 milliards d’euros.
Alors oui, ce budget prévisionnel au complet, dans lequel se trouve l’augmentation qui fait grincer des dents, a bel et bien été voté par la plupart de nos eurodéputés. Mais les Verts (Lamberts et Staes) n’étaient pas les seuls à avoir voté contre, contrairement aux informations dévoilées par la presse alternative.
Les eurodéputés N-VA ont également voté contre
Ce fut aussi le cas des 4 eurodéputés de la N-VA, Mark Demesmaeker, Sander Loones, Helga Stevens et Anneleen Van Bossuyt, qui ont également suivi leur groupe, les Conservateurs et Réformistes européens (ECR). Ces deux groupes (Verts et ECR), mais aussi le Groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe et le Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (dans lesquels aucun Belge ne siège) sont finalement allés contre ce vote. Ce qui porte à 4 (sur 7) le nombre de groupes qui ont voté contre. Pas suffisant cependant pour empêcher le budget 2016 de passer.
L’eurodéputée sp.a a même défié son groupe au Parlement
La majorité à avoir voté ce texte était formée par 3 groupes dont les deux plus grand. Il s’agit du Parti populaire européen (Démocrates-Chrétiens) (PPE) dont font partie le CD&V, le cdH et le CSP (germanophone); de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates (S&D), dont font partie le PS et le sp.a; et de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE), dont font partie le MR et l’Open Vld. Les eurodéputés belges du MR, du PS, du cdH, du CD&V, de l’Open Vld et du CSP ont donc dit "oui" à ce budget, qui comprend l’augmentation de 1500 euros. Par contre, l’unique eurodéputée sp.a, Kathleen Van Brempt, a elle voté contre, allant ainsi à l’encontre du vote de son groupe socialiste & démocrate.
En réalité, presque tous les Belges ont tenté de supprimer l’augmentation
Là, vous vous étonnez certainement de voir des politiciens belges plutôt à gauche avoir soutenu cette augmentation de moyens pour engager leurs assistants. Comment l’ancien secrétaire général de la CSC Claude Rolin (cdH), ou encore les socialistes Marie Arena ou Marc Tarabella (entre autres) ont-ils bien pu soutenir une telle mesure ? La réalité est plus complexe. Oui, ils ont soutenu ce vote final du paquet de mesures budgétaires. Mais avant ça, ils avaient tenté de supprimer cette augmentation du texte. Pour cela, ils ont soutenu deux amendements. Car avant le vote final, le Parlement européen a soumis au vote des députés pas moins de 31 amendements: des changements à apporter au texte final et proposés par des eurodéputés ou des groupes. Et là, les eurodéputés belges ont presque tous tenté de supprimer cette augmentation de 1500€.
Neuf eurodéputés belges ont tenté de faire passer deux amendements contre l'avis de leurs groupes
En plus des 7 eurodéputés belges (Verts, N-VA et sp.a) qui ont voté contre l’ensemble du paquet, 9 autres ont émis un vote dit "rebel", donc déloyal par rapport à leur groupe, sur les amendements 2 et 31. Ces 9 eurodéputés sont Marie Arena, Hughes Bayet, Marc Tarabella (PS), Claude Rolin (cdH), Pascal Arimont (CSP), Ivo Belet, Tom Vandenkendelaere (CD&V), Philippe De Backer et Hilde Vautmans (Open Vld). Pour être complet, il faut signaler que Guy Verhofstadt (Open Vld) était absent et que Gerolf Annemans (Vlaams Belang, sans groupe européen à l’époque mais désormais dans le groupe "Europe des Nations et des Libertés" de Marine Le Pen) s’est abstenu. Ces deux amendements étaient proches. L’un ajoutait au texte que le Parlement "considère que toute augmentation de l'indemnité d'assistance parlementaire est inappropriée". L’autre que le Parlement "estime, dans le contexte des efforts budgétaires actuels, qu'une augmentation de l'indemnité d'assistance parlementaire ne constitue pas une priorité".
Gérard Deprez obligé de voter l'augmentation: c'est lui qui a négocié le texte
En fait, côté belge, seuls Gérard Deprez, Louis Michel et Frédérique Ries du MR ont voté contre ces 2 amendements. Pourtant, Gérard Deprez l'assure: "Je n’étais pas partisan à titre personnel d’une augmentation." "Mais comme il y eu un accord pour fixer la limite à 1500 euros, à partir du moment où l’accord était scellé, je l’ai défendu." En effet, en tant que rapporteur du texte, son rôle était de soutenir celui-ci, fruit de longues et âpres négociations (voir encadré). "C’est pour ça que je n’ai pas pu voter sur un certain nombre de choses", dont ces amendements.
Les Belges ne comptent que pour 2,8% des votes
On le constate: si la Belgique seule avait voté, l’augmentation ne serait pas passée. Ces amendements auraient été votés sans équivoque à 16 voix pour, 3 contre et 2 abstentions. Mais le Parlement européen, ce n’est pas seulement 21 Belges, c’est 750 eurodéputés venus de 28 pays. Les deux amendements qui auraient empêché cette augmentation ont finalement été rejetés. Mais il ne faut pas croire que tous les autres eurodéputés étaient d’accord. Ça s’est joué à peu de choses: l’un n’a recueilli que 55% de votes contre, et le second seulement 51% ! Une division assez nette est donc apparue au sein de l’hémicycle européen sur cette question, ce que Gérard Deprez avait déjà relevé lors de la préparation de son rapport.
Pas une raison suffisante pour boycotter le budget dans son ensemble, selon Claude Rolin
Mais pourquoi 9 des députés belges à avoir été contre l’augmentation ont-ils quand même voté le budget final? Pourquoi ne pas avoir imité la sp.a Kathleen Van Brempt? Nous avons posé la question à Claude Rolin: "Pour moi, ça aurait été une erreur de voter contre le budget dans son ensemble car il est déjà le fruit de négociations difficiles", a expliqué l’eurodéputé cdH. "Mais c’est clair que je ne trouvais pas ça approprié d’augmenter l’enveloppe pour les assistants. Non pas que nous avons déjà trop de moyens pour remplir notre fonction, mais parce qu’en cette période de restrictions budgétaires et de rémunérations pour les gens, ce n’est pas un bon signal."
CETTE AUGMENTATION NE SERA ACCORDEE QUE SI LES EURODEPUTES EN FONT UNE MEILLEURE UTILISATION...
Pour compenser cette augmentation qui, de l’avis de beaucoup, n’est donc pas un bon signal envoyé aux citoyens européens, Gérard Deprez est cependant parvenu à conditionner l’octroi de ces 1500 euros de plus à une meilleure gestion de cet argent. "Les crédits nécessaires pour financer (cette augmentation) ne seront libérés qu'après l'élaboration par le Bureau du Parlement (voir encadré) d'une nouvelle réglementation satisfaisante en vue de renforcer le nombre d'assistants accrédités et de mieux contrôler les assistants locaux en limitant leur nombre", avait fait remarquer Gérard Deprez (photo) lors des débats au Parlement.
Zéro assistant à ses côtés à Bruxelles, mais 41 travaillant au pays!
"Le problème des assistants locaux, c’est moi qui l’ai soulevé", nous a expliqué M. Deprez. La somme de 21.379 euros peut en effet être utilisée par les eurodéputés pour payer des assistants accrédités (payés et engagés sous un statut et des barèmes européens, qui doivent obligatoirement travailler au Parlement), mais aussi des assistants locaux ou des experts (qui, eux, sont engagés dans le pays d’origine du parlementaire et sont donc payés selon les normes en vigueur dans ce pays, sans travailler aux côtés du député à Bruxelles). "J’avais constaté qu’un parlementaire n’avait aucun assistant accrédité, mais bien 41 assistants locaux", explique Gérard Deprez.
Trop peu d'assistants accrédités ne permet tout simplement pas de faire le travail de député européen
Et il n’était pas le seul, d’autres parlementaires engagent trop peu d’assistants accrédités pour simplement "faire leur boulot". "Comment préparent-ils et assistent-ils à toutes les réunions, comment tiennent-ils les agendas, qui prépare les documents" s’ils n’ont jamais aucun assistant présent à leurs côtés, se demande le rapporteur. Car les collaborateurs locaux, normalement, ne peuvent travailler que pour des matières européennes ou la campagne électorale de l’élu, pas pour des matières nationales. Nul besoin donc d’en avoir trop. D’autant que ce système est parfois inégal. "Un député bulgare, où le salaire net est de 200 à 300 euros, peut "s’offrir" 8 fois plus d’assistants locaux qu’un Allemand" ...
Donc tant qu’une nouvelle réglementation pour éviter ces abus (limiter le nombre d’assistants locaux et fixer un nombre minimum d’assistants accrédités) ne sera pas mise en place par le Bureau du Parlement, l’augmentation de 1500 euros restera en suspens.
SUR LE FOND, LES ARGUMENTS DE CEUX QUI ONT VOTE L’AUGMENTATION SEMBLENT TRES LEGERS
Intéressons-nous enfin au fond du problème. Pourquoi vouloir plus d’argent pour engager ou augmenter les assistants? Ce sont les chrétiens-démocrates et les socialistes qui avaient réclamé cette augmentation. "Le PPE en particulier voulait augmenter l’enveloppe pour les assistants parlementaires de 3000 euros par mois. La plupart des autres groupes n’étaient pas pour, mais les socialistes ont accepté 1500 euros comme compromis. C’est ça qui a été retenu" en commission des Budgets, se rappelle Gérard Deprez.
Leurs raisons? L’indemnité n’a plus été adaptée depuis 2011 alors que le Parlement a vu sa charge de travail augmenter depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009. De plus, certains comme l’UMP (parti désormais appelé Les Républicains) en France ont comparé les moyens des eurodéputés avec ceux des parlementaires américains.
Les grands groupes comme le PPE et les S&D ont déjà "des moyens pléthoriques"
Des arguments balayés par Philippe Lamberts (photo), le coprésident des Verts européens, fer de lance du mouvement contre cette augmentation. "On est déjà un des parlements les plus riches en Europe. On est extraordinairement bien équipés. En moyenne, j’ai un budget pour payer 5 assistants parlementaires. En plus, le groupe des Verts a 78 équivalents temps plein en plus pour le groupe. Ça fait un équivalent temps plein et demi de plus par député.
Si on compare ça avec les députés fédéraux en Belgique, ils n’ont droit qu’à un équivalent temps plein universitaire et un équivalent temps plein non-universitaire. D’accord, par rapport au Congrès américain, là où on a 5 à 6 assistants par député, un congressman en a 12 et un sénateur américain en a 30.
Mais de quoi a-t-on besoin pour faire notre boulot correctement ? Moi je dirige un groupe relativement modeste, on traite tous le même volume de travail parlementaire qu’un grand groupe, qui eux ont des moyens pléthoriques. A la grosse louche, on a ce qu’il faut pour travailler correctement", nous a-t-il expliqué. Ce sont pourtant les deux plus grands groupes, qui disposent donc du plus de moyens, qui sont à l’origine de cette augmentation.
S'ils ne s'estiment pas assez bien armés face aux lobbies, "c’est que les gens engagés ne sont peut-être pas à la hauteur..."
Le manque de spécialistes pour faire face aux lobbies a également été pointé du doigt par le PS français pour justifier celle-ci : "Toute l’expertise est chez les lobbies, on ne fait pas le poids". Une fois de plus, M. Lamberts estime qu’il s’agit d’un faux argument. "C’est n’importe quoi ! Si on ne fait pas le poids, c’est que les gens engagés ne sont peut-être pas à la hauteur... J’ai fait de la régulation financière, qui n’est pas un sujet exempt de technicité et ou lobbies. Et j’ai réussi à marquer des points avec les moyens dont je disposais. Qu’on ne vienne donc pas me dire que c’est impossible. Les lobbies ont des arguments qui ne tiennent pas la route. Il est facile de leur tenir tête. D’autant que notre boulot n’est pas de convaincre les lobbies ou de réfuter leurs arguments, il est de faire ce qui est bon pour la société."
"On aura bientôt moins de travail"
Quant à l’argument du volume de travail qui a augmenté depuis 2009, Philippe Lamberts répond que l’enveloppe pour rémunérer les assistants avait déjà augmenté deux fois de 1500 euros sous la dernière législature. D’autant que maintenant, "on se trouve dans une situation où la nouvelle Commission, ultralibérale, a décidé de réduire drastiquement le volume législatif vers le parlement. On croule sous boulot ? Y’en aura bientôt moins", assène Philippe Lamberts.
"Mes collègues vivent dans une tour d'ivoire"
Bart Staes, l’eurodéputé Groen, avait estimé à l’issue du vote que, "malgré une crise socio-économique dramatique qui fait trembler l'Europe sur ses fondations, nombre de mes collègues semblent hélas vivre dans une tour d'ivoire". Pas sûr en effet qu’une telle décision rapproche la politique européenne de ses citoyens.