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Au lendemain des attentats qui ont frappé Bruxelles, vous êtes nombreux à publier des
"L’horreur à J+1 et besoin de m'exprimer. 11h42, je n’ai pas été travaillé aujourd’hui. J’ai demandé une journée de télétravail... parce que j’ai peur. Difficile à avouer mais oui, j’ai peur. J’essaie de me concentrer, de travailler. Je regarde mon smartphone, cède à la tentation et ouvre Facebook. Je ne suis pas une victime des attentats d’hier, ni une rescapée. Mais j’ai été touchée en plein cœur.
En écoutant la radio hier matin, aux alentours de 8h00, j’apprends les explosions de Zaventem. Je continue à suivre les évènements dans le train, puis dans la correspondance qui doit m’emmener à Bruxelles-Midi. Avec une seule pensée: pourvu que ça ne soit pas un attentat ! Dans ce genre de situation, on a parfois des idées bizarres, un peu naïves aussi. On prie, on espère. Parce que si l’on admet une minute qu’il soit possible d’avoir été touché par la barbarie sur notre territoire, on sait que plus rien ne sera jamais comme avant, que notre sentiment de sécurité, celui dont on a besoin pour vivre notre quotidien, en prendra un sacré coup. Les minutes passent, les stations aussi. Bruxelles-Luxembourg, Bruxelles-Schuman... J’écoute la radio en suivant les informations sur Facebook, sur Twitter, #zaventem. J’échange des sms pour avertir mes sœurs, je transmets des images des blessés comme pour prouver que c’est bien arrivé. L’hypothèse de l’attentat devient de plus en plus évidente. Arrivée à Bruxelles-Nord, mon esprit se fige. Un tweet,"incendie à maelbeek, possible explosion", une image avec de la fumée. Maelbeek, près de la rue de la Loi. Je connais, j’y suis passée, c’est tout près. Non, pitié ! J’arrive à la gare du Midi, je vois tous les voyageurs avec leurs bagages qui tentent d’obtenir des informations. Je traverse la gare comme une flèche, je ne veux pas m’attarder. Je me dirige vers le tram 82 qui est heureusement à quai... et je vois tous les passagers descendre. La conductrice aussi. Il y a eu des explosions, la STIB leur a intimé l’ordre de cesser les transports. Les voyageurs sont perdus, moi aussi. Je longe le quai dans un sens, puis dans l’autre, je ne sais pas quoi faire, ni où aller, j’ai perdu mes repères. Je m’apprête à interpeller un agent de la STIB quand j’entends le message dans les hauts parleurs. On nous intime l’ordre d’évacuer la station. Le message est diffusé quasi en boucle. Les gens sont perdus, ils restent sur place, tentent de passer des appels. Je les bouscule, il faut que je bouge, je veux sortir de là. Je commence à marcher, je veux me réfugier au travail. 20 minutes de marche habituellement c’est court. Pas cette fois. Bruxelles n’est plus que sirène, j’aperçois des militaires ici et là.
Et toujours là, insidieuse, la peur. J’essaie de rassurer mes proches, de contacter mes collègues, là aussi j’ai peur. Je parle à ma maman, je sens son inquiétude, son incrédulité, sa révolte. Je prie. Et je maudis. J’ai envie de crier, j’ai mal. Alors c’est ça le terrorisme... c’est ça avoir peur. Arrivée au travail, je retrouve mes collègues sains et saufs, Dieur merci. Je pense à ceux qui n’arriveront jamais, ceux qui comme moi ont quitté leur famille le matin pour un dernier trajet. Je ne pense pas que l’on ait été très productifs, tant pis. On suit les événements et une seule idée m’obsède: je veux rentrer chez moi dans le Brabant wallon. Il faut que je quitte Bruxelles. Pour retrouver un sentiment de sécurité peut-être illusoire, mais il serait trop douloureux de penser que l’on est plus en sécurité nulle part. Les transports sont à l’arrêt, la vie aussi. C’est un sentiment étrange et étranger, je me sens claustrophobe. Ma collègue ne souhaite qu’une chose: partir et serrer ses enfants dans ses bras. Dans la peur, la terreur de perdre la vie, de perdre des êtres chers, on cherche refuge dans l’amour, la tendresse, l’innocence. Aux alentours de 14h00, le mari d’une collègue parvient à trouver une voiture et vient nous chercher. On respire un peu mieux. Je cache la peur au fond de moi, ravivée par chaque nouvelle actu, par des photos de victimes en sang,...
On me dépose, je récupère ma voiture à la gare, je m’enferme et là je laisse les barrières s’écrouler. Je fonds en larmes, la peur, le stress, je laisse tout couler. J’ai envie de vomir, des nausées qui ne me lâcheront pas de toute la soirée. J’évite d’allumer la télévision. Je suis l’actualité sur Facebook, je lis quelques commentaires. Prends la haine en pleine figure. Je suis musulmane, j’ai mal pour mon pays, j’ai mal pour mes concitoyens, j’ai mal pour ma religion. Beaucoup nous demandent de nous désolidariser de ces barbares, mais quand a-t-on été solidaires ? J’ai vécu les évènements comme vous. Dans ce métro, dans cet aéroport ils n’ont pas fait de différence. Parmi les visages des disparus, je vois la diversité. La folie n’épargne personne.
Un jour après l’horreur, je ressens la même chose que tous les autres Belges: je suis vidée, j’ai peur, je suis révoltée et je veux montrer que l’on ne se laissera pas faire. On ne les laissera pas mettre notre pays à feu et à sang. La haine ne gagnera pas. Nous sommes le pays où l’union fait la force, nous ne l’oublierons jamais. Un dernier regard à mon fil d’actualité et une phrase retiens mon attention: "Ils ont eu le sang, ils n’auront pas la haine." Entre deux larmes, je souris... un peu. Pour éloigner la peur, sûrement."