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Le contentieux porte sur l'opportunité d'accorder un visa humanitaire à un couple de Syriens et leurs deux enfants résidant à Alep, pilonnée ces dernières semaines par l'armée syrienne et son allié russe.
Une famille de Namur marque le souhait d'accueillir chez elle une famille de Syriens. Mais ceux-ci ne souhaitent venir en Belgique que de manière légale, ce qui nécessite un visa en bonne et due forme. L'Office des étrangers refuse de leur accorder, mais le Conseil du Contentieux des Etrangers (CCE), un organe d'appel, décide lui de leur octroyer le sésame vers la Belgique.
Francken s'oppose à la décision de Justice
Une décision à laquelle le secrétaire d'Etat Theo Francken refuse de donner suite, redoutant de créer un précédent qui pourrait avoir "d'énormes répercussions pour la politique belge et européenne d'asile", selon lui. Le tribunal de première instance rejette toutefois les arguments du secrétaire d'Etat, imposant à la Belgique le 20 octobre dernier une astreinte de 1.000 euros par jour et par membre de la famille si le visa ne leur est pas délivré. M. Francken promet alors d'user de "tous les moyens légaux pour annuler la décision".
Le 31 octobre, un huissier débarque aux cabinet Francken, ce que le secrétaire d'Etat tourne en dérision en publiant sur Facebook une photo faisant croire que le mobilier du cabinet a été saisi. "Avec ou sans meubles, nous continuons à travailler", écrit-il à côté de la photo d'une pièce vide. La BBC prend l'information pour véridique et publie un article sur l'affaire.
Comme il l'avait annoncé, M. Francken conteste avec succès l'astreinte imposée. Il se tourne parallèlement vers le Conseil d'Etat pour annuler la décision du CCE.
La N-VA défie les juges sur les réseaux sociaux
L'imbroglio connaît mercredi passé un nouveau rebondissement lorsque la Cour d'appel de Bruxelles confirme la validité des astreintes au bénéfice de la famille syrienne. Courroucée par cette décision de justice, la N-VA lance alors une campagne sur les réseaux sociaux. On peut notamment y lire: "Pas d'astreintes et pas de gouvernement des juges. Pas de papiers belges pour chaque demandeur d'asile dans le monde".
Cette attitude provoque un tsunami de réactions outrées de l'opposition, du monde de la justice et académique, ainsi que de nombreuses ONG. La polémique jette un -nouveau- froid entre partis de la majorité. Sur les plateaux des télévisions, le gouvernement Michel se fait étriller tout le week-end. A la recherche d'une issue, celui-ci propose lundi à la famille syrienne de solliciter l'asile au... Liban, "un pays sûr" selon le Premier ministre et son secrétaire d'Etat.
L'idée est immédiatement rejetée par les intéressés. Dénonçant une proposition "choquante", leur avocate Mieke Van den Broeck fait savoir qu'elle fera exécuter par huissier l'ordre de paiement d'astreintes ce mardi pour un premier montant de 20.000 euros.
Un cas qui pourrait faire jurisprudence: "N'importe quoi !"
"Il y a énormément de désinformation dans ce dossier", regrette Sylvie Saroléa, avocate et professeur de droit des étrangers à l'UCL. "Dire que cet arrêt va obliger la Belgique à accepter toute demande de visa humanitaire depuis un pays en guerre, c'est n'importe quoi", s'énerve la juriste, qui estime que l'affaire est exploitée à des fins de communication politique. "Personne n'a dit qu'on allait devoir accepter toutes les demandes. Le jurisprudence du conseil du contentieux des étrangers (CCE), c'est la jurisprudence d'une juridiction qui se prononce au cas par cas. C'est un juge qui effectue un contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ici le juge a, par trois fois, dit que la décision n'est pas correctement motivée".
Pourquoi cette affaire fait-elle tant de bruit ?
En principe, le CCE ne peut qu'annuler une décision administrative, sans en prendre lui-même une nouvelle. Mais, en cas d'urgence, il peut ordonner des mesures provisoires pour sauvegarder les intérêts des parties. Ce qu'a fait le 3e juge en ordonnant à l'Etat de délivrer les documents, vu la situation de guerre à Alep. "Ce genre d'arrêt n'est pas fréquent mais pas inédit non plus. Il a été pris dans un contexte d'agacement", considère Sylvie Saroléa.
"Et ici, ce qui est particulier, c'est qu'il y a eu trois juges saisis l'un derrière l'autre, à quelques mois d'intervalle, avec des décisions quasi identiques. Et la troisième fois, le juge a, d'une certaine manière, haussé le ton", a encore indiqué Sylvie Saroléa, précisant que les mesures provisoires des juges du Conseil du contentieux des étrangers étaient généralement ordonnées "sur la pointe des pieds".