La Russie et l'Ukraine ont signé vendredi à Istanbul avec l'ONU et la Turquie un accord pour débloquer les exportations de céréales face aux risques de famines dans le monde, tandis que les bombardements se poursuivaient dans l'est et le sud de l'Ukraine.
Les deux belligérants ont paraphé deux textes identiques mais séparés, à la demande des Ukrainiens qui refusaient de signer avec les Russes.
La signature de cet accord âprement négocié sous les auspices des Nations unies et d'Ankara a eu lieu au palais de Dolmabahçe sur le détroit du Bosphore, en présence notamment du secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, et du président turc Recep Tayyip Erdogan.
Les conditions sont réunies pour son application "dans les prochains jours", a assuré peu après le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou.
Cet accord doit maintenant être "pleinement mis en œuvre", a souligné Antonio Guterres, tout comme le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell.
Les Etats-Unis, qui soutiennent l'Ukraine contre l'agression russe, ont fait peser sur Moscou la responsabilité du succès de l'opération. "Il revient maintenant à la Russie de concrètement mettre en oeuvre cet accord", a souligné la numéro 3 de la diplomatie américaine, Victoria Nuland.
L'Ukraine s'est montrée de son côté circonspecte. "L'Ukraine ne fait pas confiance à la Russie. Je ne pense pas que quiconque ait des raisons de faire confiance à la Russie", a souligné le ministre des Affaires étrangères Dmytro Kouleba.
C'est désormais "la responsabilité de l'ONU" de garantir le respect de l'accord, a dans la soirée déclaré le président Volodymyr Zelensky, disant s'attendre à "des provocations, à des tentatives de discréditer les efforts ukrainiens et internationaux".
"L'accord correspond entièrement aux intérêts de l'Ukraine", s'est-il cependant félicité, ajoutant que les militaires ukrainiens continueraient de contrôler "à 100% tous les accès aux ports", dont la Russie exigeait initialement le déminage.
M. Erdogan a de son côté espéré que cet accord allait "renforcer l'espoir de mettre fin à cette guerre" que se livrent depuis près de cinq mois, dans l'une des régions les plus fertiles d'Europe, deux des plus grands producteurs de céréales du monde.
La cheffe de la diplomatie britannique et candidate à la succession du Premier ministre Boris Johnson, Liz Truss, a été plus directe.
"Pour permettre un retour durable à la sécurité dans le monde et à la stabilité économique, (Vladimir) Poutine doit mettre fin à la guerre et se retirer d'Ukraine", a-t-elle déclaré.
- Des "couloirs sécurisés" -
La principale mesure découlant de l'accord est la mise en place de "couloirs sécurisés" afin de permettre la circulation en mer Noire des navires marchands, que Moscou et Kiev s'engagent à "ne pas attaquer", a expliqué un responsable des Nations unies.
Il sera valable pour "120 jours", le temps de sortir les quelque 25 millions de tonnes accumulées dans les silos d'Ukraine tandis qu'une nouvelle récolte approche.
Les négociateurs ont toutefois renoncé à nettoyer la mer Noire des mines - principalement posées par les Ukrainiens pour protéger leurs côtes. L'ONU a précisé que des "pilotes ukrainiens" ouvriraient la voie aux cargos dans les eaux territoriales.
Quant aux inspections des navires au départ et en direction de l'Ukraine, exigées par la Russie pour empêcher de les utiliser pour amener des armes, elles auront lieu dans les ports d'Istanbul.
Quelques heures avant la signature, le Kremlin avait souligné que s'il fallait que les céréales ukrainiennes atteignent les marchés mondiaux, il fallait aussi "permettre aux marchés de recevoir des volumes supplémentaires d'engrais et de céréales" russes, dont l'exportation était freinée par les sanctions occidentales.
Dans le sud fertile de l'Ukraine, des agriculteurs restaient sceptiques. L'accord d'Istanbul "donne un peu d'espoir", considère certes un agriculteur de la région, Mykola Zaveroukha, qui attend de pouvoir exporter quelque 13.000 tonnes de céréales. Mais, ajoute-t-il aussitôt, "la Russie n’est pas fiable, elle l’a démontré année après année".
- Bombardements russes -
Dans le même temps, les forces russes poursuivent leurs bombardements sans relâche dans la région de Donetsk (est), qui a été au coeur de leur offensive militaire ces derniers mois.
La présidence ukrainienne y a recensé vendredi "cinq personnes tuées et 10 blessées au cours des dernières 24 heures".
"Il n'y a plus rien. Les fonctionnaires sont partis. Nous devons nous débrouiller seuls pour rester en vie", a raconté Lioudmila, une femme de 64 ans qui ramassait des abricots à Tchassiv Iar, un village de la région cible d'une frappe sanglante (45 morts selon les autorités locale) le 10 juillet.
De nouveaux bombardements russes à Sloviansk ont aussi fait trois blessés et ont endommagé six immeubles et plusieurs maisons, a annoncé sur Telegram le gouverneur de la région de Donetsk Pavlo Kyrylenko. Selon les premières informations, il s’agissait d’armes à sous-munitions.
Côté prorusse, les autorités des deux territoires séparatistes du bassin minier du Donbass ont annoncé avoir bloqué Google, l'accusant de faire "la promotion du terrorisme et de la violence contre tous les Russes".
Dans le sud, selon Kiev, les forces russes bombardent des villages le long de la ligne de front dans la région de Kherson, où l'armée ukrainienne tente de récupérer les zones prises par Moscou dans la foulée du déclenchement de son invasion fin février.
Kiev a ainsi revendiqué avoir frappé une position russe près de la centrale nucléaire de Zaporijjia, sous contrôle de Moscou, avec "un drone kamikaze".
La frappe "a touché un campement avec notamment un véhicule équipé de lance-roquettes multiples Grad. Trois Russes ont été tués, 12 blessés, a affirmé le service de renseignement militaire ukrainien sur sa page Facebook, postant une vidéo présentée comme représentant cette attaque.
Les Etats-Unis ont annoncé vendredi une nouvelle tranche d'aide militaire à l'Ukraine à hauteur de 270 millions de dollars, comprenant notamment quatre nouveaux systèmes d'artillerie de précision Himars, et jusqu'à 500 drones kamikazes Phoenix Ghost.
La Russie a "lancé des bombardements mortels dans tout le pays, frappant des centres commerciaux, des immeubles d'habitations, tuant d'innocents civils ukrainiens", a dit John Kirby, porte-parole de la Maison Blanche sur les questions stratégiques.
"Face à ces atrocités, le président a clairement indiqué que nous allions continuer de soutenir le gouvernement ukrainien et son peuple aussi longtemps que nécessaire", a-t-il ajouté.
L'ONG Human Rights Watch (HRW) a de son côté accusé vendredi l'armée russe de perpétrer tortures, détentions illégales et enlèvements de civils dans la partie méridionale de l'Ukraine sous son contrôle.
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