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En Belgique, un adulte sur dix présente une consommation problématique d’alcool. Une drogue puissante qui peut mener à une addiction incontrôlable. Nathalie a été dépendante à l’alcool pendant près de 6 ans. Le 21 juin dernier, cette maman célébrait 1.000 jours d’abstinence totale. Aujourd’hui, elle partage son histoire pour aider ceux qui souffrent de cette dépendance destructrice.
"Maintenant, je prends soin de moi. On peut donc difficilement imaginer que j’étais quelqu’un bouffi par l’alcool qui dormait avec sa bouteille de vodka dans les bras, qui pouvait ne plus se laver, ni prendre soin de son appartement", confie Nathalie, une habitante d’Arlon. Cette femme de 44 ans est une alcoolique abstinente au parcours long et semé d’embûches. Après s’être assurée d’avoir atteint une solidité émotionnelle, elle a décidé de témoigner ouvertement. Sans tabou, ni fausse pudeur."Aujourd’hui, je souhaite transformer mon plomb en or", révèle-t-elle via
Selon une enquête menée par l'ISP (Institut de Santé publique) en 2013, un dixième des Belges de plus de 15 ans a une "consommation problématique" d'alcool. Elle ne prend pas forcément la forme d'une dépendance, mais peut y mener et consiste en tout cas en une consommation excessive liée à des risques accrus pour la santé.
"Cela ne vient pas du jour au lendemain, c’est insidieux"
Vers 2006, Nathalie commence à se rendre compte qu’elle consomme trop d’alcool."Cela ne vient pas du jour au lendemain, c’est insidieux. A l’époque, l’alcool est devenu un petit plus problématique. Mais je bossais et j’étais toujours capable d’assurer tout. Je travaillais au Luxembourg dans le domaine de la finance", raconte la quadragénaire.
Deux ans plus tard, sa dépendance s’accentue. Les quantités sont plus importantes et, dès le matin, elle boit parfois de la bière. Le 21 octobre 2008 est une date fatidique. Le jour où elle sombre. "J’étais prête à aller travailler. J’étais donc habillée, maquillée et coiffée. J’ai ouvert la porte de chez moi pour sortir et là, je me suis dit "je ne peux plus". Il y avait une dépression latente aussi", révèle-t-elle. L’Arlonaise a subi un bypass gastrique en 2003. Grâce à cette opération consistant à réduire le volume de l’estomac, elle a perdu 70 kilos en deux ans. Mais une fois l’euphorie de la perte de poids passée, une dépression s’est installée. "Avant, la nourriture représentait quand même un exutoire pour calmer mes angoisses. C’est en partie pour ça que je suis tombée dans l’alcool", avance-t-elle.
"J’ai commencé à boire du matin au soir, et du soir au matin"
Ce jour d’automne, elle semble dépourvue d’une quelconque force intérieure. Au lieu de se rendre à son boulot, elle fait demi-tour et rentre chez elle. Nathalie attend que son mari parte travailler et que sa fille se rende à l’école. "Ensuite, je suis allée chercher de l’alcool. Et j’ai commencé à boire du matin au soir, et du soir au matin. Toujours de la bière", explique-t-elle. "Au début, je pensais cacher à mes proches que je buvais. Je ne faisais pas de réserve à la maison. J’habite dans le centre d’Arlon. J’allais dans le magasin le proche qui vendait de la bière. Mon énergie et mes pensées étaient uniquement centrées sur l’alcool."
L’appel irrésistible de l’alcool dicte tous ses faits et gestes. Son but est d’atteindre l’ivresse pour noyer son mal-être."A ce moment-là, ce n’était plus une question de boire un verre entre amis pour faire la fête, c’était boire pour oublier, pour fuir la réalité. Je buvais, je dormais, je buvais, je dormais", résume-t-elle.
Son mari se rend rapidement compte de cette situation inquiétante et lui demande de consulter leur médecin traitant. Après un passage aux urgences, Nathalie est hospitalisée fin novembre à Saint-Mard (Virton). La quadragénaire perd son emploi car elle venait de changer de société et finissait sa période d’essai."Mon employeur avait donc le droit de me licencier sans raison particulière", souligne-t-elle.
De la bière et puis de la vodka
Nathalie passe un mois dans le service psychiatrique de l’hôpital, à l’abri de l’alcool. Mais elle ne considère pas cette expérience comme une véritable première cure. A sa sortie, ses démons reviennent très rapidement."J’ai quitté l’hôpital le 29 décembre début d’après-midi et le soir je rebuvais. L’appel de l’alcool était plus fort, je n’étais pas bien du tout. Et puis un facteur qui n’a pas aidé, c’est que le jour de ma sortie mon papa est entré aux soins palliatifs dans le même hôpital."
Les verres s’enchaînent à nouveau. Et elle s’enfonce encore plus dans la déchéance."Au début quand on peut choisir entre guillemets, c’était de la bière. Et puis, je prenais ce qui était à ma disposition: du vin, de la bière et puis de la vodka. Car plus on boit, plus il en faut, plus il en faut, plus ça doit être fort pour être assommé", explique-t-elle.
Les manques se manifestent par des tremblements et des angoisses terribles. Au niveau psychologique, Nathalie ressent également un sentiment de honte et de culpabilité. "En tant que femme, on est plus vite jugée lorsque l’on boit. C’est très mal accepté, en plus quand on est une maman..."
Nathalie tente de se suicider après sa première cure
Fin janvier 2009, Nathalie est admise à l’hôpital psychiatrique de Lierneux. "J’estime que c’est ma vraie première cure. Ma maman et ma sœur, un peu désespérées, ont été voir notre médecin traitant. Ils ont trouvé un groupe de parole genre AA (ndlr: alcooliques anonymes) à Arlon qui leur a ensuite renseigné Lierneux. Je suis restée là jusque début avril", se souvient-elle. Après une semaine, c’est la rechute. L’alcool reprend le dessus et Nathalie plonge dans le désespoir. Elle a alors l’impression d’avoir eu sa chance et d’avoir échoué. Elle n’entrevoit pas d’alternatives. "Je ne voyais plus d’issue, je voyais que je faisais souffrir mon entourage, ma maman, ma fille, mon mari, ma sœur. J’étais désespérée. Pour moi, la seule façon de fuir c’était d’en finir. Et de les épargner aussi", confie-t-elle. En état d’ébriété, l’Arlonaise commet une tentative de suicide. Elle tente de sauter par la fenêtre. Heureusement, sa mère et sa sœur la rattrapent avant le geste fatal.
Face à cette situation, son conjoint se sent désemparé et finit par la quitter. "Il ne tenait plus le coup", confie Nathalie. Pour tenter de se débarrasser de cette dépendance toxique, elle va ensuite enchaîner les cures. Sans succès. Sa vie est rythmée par les tentatives de sevrage et les rechutes. "Prisonnière de l’alcool, j’avais malgré tout cette petite lumière d’espoir qui brillait toujours en moi. Plus le temps passait, plus je désespérais de ne pas y arriver. Je ne trouvais pas la clé pour sortir de cette prison!" L’Arlonaise tente aussi de participer à des séances des AA, mais elle ne réussit toujours pas à abandonner sa bouteille de vodka.
"Ils m’ont sauvé la vie !"
En octobre 2013, sa mère et sa sœur lui posent un ultimatum: elle doit se rendre dans un centre de postcure qui leur a été recommandé pour une période de 6 mois minimum ou elle ne les verra plus. "Je me suis donc laissé faire", raconte Nathalie. Il s’agit du centre de postcure des Hautes Fagnes situé à Malmedy. "J’y suis restée 6 mois et demi. Une période de travail intense sur tous les aspects de ma vie, de ma personnalité, avec des hauts et des bas, du désespoir et de la joie. J’étais alors encadrée par une équipe de professionnels hors du commun. Pour moi, ils m’ont sauvé la vie", assure-t-elle.
Sa fille, aujourd’hui âgée de 15 ans, joue aussi un rôle très important. "Ma fille est très forte. Elle a été bien entourée par ma mère et ma sœur. Elle a vu des choses qu’elle n’aurait pas dû voir. Elle m’a vue dans des états d’ébriété. C’est ambivalent parce que, même quand je me retrouvais en cure, je me disais que l’amour qui me lie à ma fille n’arrive pas à me sortir de cette saloperie. Mais sa combativité à elle m’a aidée à tenir le coup." A plusieurs reprises, Nathalie a eu l’envie de claquer la porte et quitter le centre."A ce moment-là, j’appelais ma sœur pour qu’elle vienne me chercher. Elle me répondait "non" et puis elle me passait ma fille qui me disait "maman si tu reviens, moi c’est fini, tu ne me reverras plus, je ne veux plus te voir". Là je me disais, ok, c’est bon, je reste."
"Quand on est alcoolique, c’est tolérance zéro"
Grâce au soutien de ses proches, Nathalie réussit ainsi à tenir jusqu’au bout. Le 9 mai 2014, elle quitte fièrement le centre et entame sa nouvelle vie d’alcoolique abstinente. Car il n’existe pas de médicament miracle pour soigner cette maladie. La seule façon de s’en sortir, c’est de tirer un trait définitif sur l’alcool. "On ne peut plus boire une seule goutte. J’ai cru que je pouvais contrôler mon alcool, j’ai essayé de boire un verre, mais c’est comme ça que je rechutais. Quand on est alcoolique, c’est tolérance zéro et c’est difficile car la tentation est partout", souligne-t-elle.
Depuis son divorce avec l’alcool, il y a près de 3 ans, Nathalie se sent heureuse et sereine."J’ai retrouvé une qualité de vie. Je ne me suis jamais aussi bien portée, même si j’ai des coups durs. Il a aussi fallu reprendre ma place auprès de ma fille. Ce n’est donc pas tous les jours facile, mais je n’ai plus jamais eu de crises d’angoisse comme j’ai pu en avoir quand je buvais. J’ai retrouvé la liberté, la responsabilité de ma vie. C’est le plus important pour moi. Je décide de ce que je veux faire, de boire ou de ne pas boire."
"J’ai été attachée pendant 3 jours les pieds et mains liés avec un lange"
Cela ne l’empêche pas d’avoir des envies d’alcool. "Il y a les envies de goût car avant mes problèmes d’addiction j’appréciais le bon vin. Il y a aussi les moments où j’ai envie de prendre un verre pour m’assommer et fuir une situation difficile. Quand cela arrive, pour m’en défaire, il me suffit de repenser à quel point j’ai souffert et à quel point je me sentais mal lors de mon dernier sevrage." Nathalie se trouve alors dans une clinique située au Grand-Duché du Luxembourg. Arrivée totalement ivre, elle est ingérable. "Je me levais tout le temps et je suis tombée plusieurs fois. Pour éviter que je me blesse à nouveau, j’ai été attachée pendant 3 jours les pieds et mains liés avec un lange. Quand je repense à ça, mes envies passent très vite. Je ne voudrais plus jamais revivre ça et je ne le souhaite à personne", confie la quadragénaire qui sait qu’elle devra rester vigilante jusqu’à la fin de ses jours.
"Il m’a fallu 18 cures pour m’en sortir"
En quittant le centre de Malmedy, Nathalie doit également faire des choix au niveau professionnel. Plus question de travailler dans le secteur de la finance. Elle décide de mettre son expérience au profit des autres. Apporter son aide aux personnes et aux familles qui traversent les mêmes épreuves. "J’aimerais que les gens sachent qu’on peut s’en sortir. J’ai fait un relevé de toutes les cures. En comptant toutes les durées (de 24h à 6 mois et demi en passant par 15 jours et 3 mois), j’en suis à 18 cures. Il m’en a fallu à moi 18 pour m’en sortir. J’aimerais redonner de l’espoir à ceux qui en ont besoin et apporter des pistes", explique-t-elle.
"Lorsqu’on ose aborder ce sujet encore tellement tabou, les langues se délient"
Comment ? En témoignant, en racontant ouvertement son histoire."J’ai remarqué que lorsqu’on ose aborder ce sujet encore tellement tabou, et encore plus chez les femmes, les langues se délient ! Et je pense que, même avec toute la bienveillance du monde et l’amour des proches, c’est difficile de comprendre un alcoolique si on n’a pas été soi-même alcoolique", assure-t-elle.
La première démarche de Nathalie, qui suit actuellement une formation en coach de vie, est donc de partager son expérience via les médias. Pour concrétiser son projet, elle a aussi déjà prévu d'organiser une soirée dans une salle à Arlon, le 23 septembre prochain. Elle y invite les proches et les personnes dépendantes à venir l’écouter et à discuter, en respectant leur anonymat. "Après une cure, trois personnes sur dix s’en sortent. Si j’arrive déjà à en aider une, je serais contente", lance Nathalie qui s’est également lancé le défi d’écrire un livre.
Julie Duynstee