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Une consommatrice exprime sa déception de n’avoir pu acheter de pommes de terre produites en Belgique. Pourquoi les rayons du Carrefour et du Okay ne proposaient-ils que des importations d'Israël et d'Espagne ? Nous avons posé la question au porte-parole de Carrefour et confronté ses propos à ceux de spécialistes du tubercule en Belgique.
Frédérique nous a contacté via notre bouton orange
89.000 hectares de culture pour 4 millions de tonnes de pommes de terre en 2015
Quatre millions de tonnes de pommes de terre ont été produites en Belgique en 2015, nous apprend Pierre Lebrun, agronome et représentant de l’ASBL
85% de la production transformée en frites, chips, croquettes...
La forte production belge s’explique principalement par le dynamisme de l’industrie de la transformation de la pomme de terre. Une quinzaine de sociétés familiales belges parviennent à être plus compétitives que les multinationales du secteur, "grâce à une meilleure souplesse et réactivité", selon Pierre Lebrun.
La Belgique est le plus grand producteur de frites surgelées dans le monde, talonnée par les Pays-Bas. 85% des pommes de terre terminent en frites (principalement) ou en croquettes, flocons, garnitures, chips... En 2015, 1,5 million de pommes de terre fraîches ont été importées pour ces usines de transformation. Seuls 20% de la production de frites sont destinés à la Belgique. 2, 3 millions de tonnes de frites sont exportées vers... 177 pays !
Par rapport à ce gigantesque marché de la pomme de terre industrielle, celui de la pomme de terre de table est tout à fait marginal. Une dizaine de producteurs sont spécialisés dans celle-ci. Ils ne représentent que 10 à 15% de la production totale et ont exporté 865.000 tonnes de pommes de terre fraîches en 2015. Ce sont eux qui permettent aux supermarchés de proposer des produits locaux.
Malheureusement pour Frédérique, cette offre n’est disponible que de septembre à mai.
"Nous n’aimerions pas mieux que de trouver du belge toute l’année"
Baptiste van Outryve, porte-parole de Carrefour en Belgique, nous a expliqué que Carrefour propose des pommes de terre belges pendant 9 mois de l’année. Il insiste sur l’ancrage local de la marque, "Il y a une différence entre les Carrefours de Bruxelles, ceux de Malmedy ou de Coxyde", fait-il remarquer à cet égard. "Nous favorisons la main d’œuvre belge, déclare-t-il. Il y a une empreinte écologique dont il faut tenir compte également".
Baptiste van Outryve invoque la saison des pommes de terre en Belgique pour justifier l’interruption de l’offre. "Nous n’aimerions pas mieux que de trouver du belge toute l’année", ajoute le porte-parole.
Est-ce vraiment impossible ?
"Le climat ne le permet pas"
Pour en avoir le cœur net, nous avons appelé Yves Grammen, un producteur wallon dont l’exploitation de 270 hectares produit 11.000 tonnes de pommes de terre d’une douzaine de variétés. "Le climat ne le permet pas, voilà le problème", confirme-t-il dans un premier temps. La pomme de terre se plante au mois d’avril-mai et a besoin de 100 à 120 jours pour sa croissance. Elle se récolte en août-septembre, puis est conservée dans des réfrigérateurs.
"Pendant le laps de temps entre l’ancienne et la nouvelle récolte, les supermarchés se tournent vers des pommes de terre étrangères", explique Yves Grammen. "Le plus proche possible au mois de mai, c’est Israël. Après c’est l’Espagne, l’Italie... Plus on se rapproche de septembre, plus on s’approche de la Belgique", précise le porte-parole de Carrefour au sujet des importations.
Les pommes de terres belges trop vite remplacées par les récoltes importées ?
Dans un deuxième temps, notre producteur de pommes de terre nuance ses propos. "Certains responsables d’achats introduisent trop tôt les pommes de terres de Chypre", regrette-t-il. "Début avril, si ce n’est pas fin mars", précise-t-il. "La primeur de Chypre, c’est un événement marketing", souligne le porte-parole de la Filière Walonne de la pomme de terre. "Un peu comme quand le Beaujolais est là", explique-t-il.
En fait, c’est surtout l’importance de l’aspect visuel du produit qui, souvent un peu trop tôt, dicterait aux distributeurs d’importer de nouvelles récoltes venues de l’étranger. "Le consommateur achète avec les yeux", dit Pierre Lebrun. Or, une pomme de terre belge qui a été conservée 9 mois à "4, 5 degrés en frigo" est moins belle qu’une pomme de terre nouvelle d’importation, explique le producteur. "Au niveau visuel, y a pas photos, mais au niveau qualité et gustatif, il n’y a pas de différence. Il y a même des vieilles qui sont meilleures que les nouvelles", estime-t-il.
"Une qualité culinaire pendant quasiment 12 mois" grâce aux progrès des techniques de conservation
Peut-on proposer aux consommateurs des pommes de terre belges entre mai est septembre ? "Techniquement, on a la possibilité de faire la jonction en conservant sans problème", déclare le cultivateur de tubercules. "On a progressé dans les techniques de conservation au point de conserver une qualité culinaire quasiment 12 mois", corrobore Pierre Lebrun. "Pour certains usages, il vaut mieux une vieille récolte européenne qui à 8 ou 9 mois", renchérit-il. "Il y a des pommes de terre disponibles mais elles sont vieilles. C’est un vieux produit", résume-t-il. Si les responsables d’achats acceptaient des pommes de terre un peu moins belles dans leurs rayons, les consommateurs pourraient donc acheter local presque toute l’année. A condition de jouer le jeu comme Frédérique...