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Afin de contrer l'hégémonie médiatique occidentale, la Chine cajole les journalistes africains. L'objectif ? Influencer le discours sur la Chine et son action en Afrique.
La première fois qu'il a arpenté la Grande muraille, ce journaliste sénégalais a été "impressionné par le gigantisme chinois", aux côtés d'une vingtaine de confrères africains invités par le Parti communiste chinois (PCC) qui "n'a rien laissé au hasard pour présenter la Chine sous un jour favorable".
En quatre ans, Amadou Sarra Bâ, reporter à l'Agence de presse sénégalaise (APS) s'est rendu deux fois en Chine, tous frais payés, pour un voyage de presse puis un "séminaire de formation", nouveaux outils de Pékin pour contrer des médias occidentaux qui, selon Cai Fuchao, chef du régulateur de l'audiovisuel chinois, "dominent le monde".
Durant ses séjours, M. Bâ a visité monuments historiques, musées, administrations, usines et médias, et a reçu des livres et supports audiovisuels vantant "l'autonomie de certaines provinces" ou le "multipartisme" d'une Chine où le PCC est pourtant tout-puissant. "L'objectif de Pékin est d'influencer le discours sur la Chine et sur son action en Afrique" en "fournissant une offre d'information non occidentale" qui fasse "contrepoint", analyse pour l'AFP Jean-Pierre Cabestan, de l'Université baptiste de Hong Kong.
A la suite d'Amadou Sarra Bâ, "1.000 professionnels africains des médias seront formés par la Chine chaque année pendant trois ans", a promis le président chinois Xi Jinping en décembre à Johannesburg au sommet Chine-Afrique. "Ça doit (leur) revenir cher", estime un journaliste africain, évaluant à "6.000 à 7.000 dollars par personne" le coût de son séjour d'une semaine en Chine, qui comprenait "déplacements à l'intérieur du pays" et "hôtels classés". D'autant plus que Pékin aide aussi financièrement ou rénove des médias africains. "Mais rien n'est fait à perte, et je ne pense pas que cela se fasse sans influence", estime Clea Kahn-Sriber de l'ONG Reporters sans frontières "surtout étant donné la politique intérieure chinoise en matière d'information".
Briser l'hégémonie médiatique occidentale
Xi Jinping vient ainsi de visiter les sièges des principaux médias d'Etat, s'y faisant ovationner par les journalistes, auxquels il "a ordonné de suivre strictement la direction du Parti" selon l'agence Chine nouvelle.
Si la Chine vise en priorité l'Afrique, elle entend fédérer bien davantage de pays contre l'influence occidentale. Pékin accueillait ainsi en décembre le tout premier "sommet des médias des pays BRICS", réunissant notamment l'agence russe TASS et l'organisme public brésilien EBC, dont un responsable avait d'ailleurs appelé à "briser l'hégémonie médiatique occidentale".
"Le directeur général de (la radio d'Etat chinoise) CRI nous a indiqué que les théories véhiculées dans les pays occidentaux ne sont pas valables en Chine et en Afrique", raconte Amadou Sarra Bâ. Un discours qui touche une corde sensible. "Aujourd'hui, quand on est au Sénégal et qu'on veut s'informer sur l'Afrique du Sud, la lutte contre Boko Haram ou le Nord du Mali, on se rabat sur les médias des anciens colonisateurs. Il faut inverser cette tendance", déclare à l'AFP Assane Diagne, un rédacteur en chef d'Africa Check, site internet soutenu par la Fondation AFP.
"La Chine peut installer des satellites, aider les organes de presse africains à se doter d'équipements pour être au même niveau que les médias occidentaux, ou former des techniciens", détaille M. Diagne, qui a suivi un stage en Chine en 2011. Les grands médias chinois (télévision CCTV, CRI, agence Chine nouvelle) ont déjà considérablement renforcé leur présence en Afrique depuis 10 ans, et l'entreprise privée chinoise StarTimes participe à la numérisation de télévisions d'une dizaine de pays (Tanzanie, Kenya, Nigeria...).
"C'est comme si nous étions des extraterrestres venus d'une autre planète"
L'aide chinoise est bienvenue, selon Zine Cherfaoui, chef du service international du journal algérien El Watan et invité en Chine en 2015, qui appelle cependant à "veiller à ce que cela n'affecte pas les choix éditoriaux des médias secourus".
De toute façon, nuance Jean-Pierre Cabestan, "les journalistes africains ne veulent pas donner l'impression à leurs lecteurs qu'ils ont subi un lavage de cerveau, donc ils gardent leurs distances avec la Chine". D'autant que, souligne-t-il, "pour vendre, les médias africains vont toujours préférer relayer des rumeurs et informations négatives sur la Chine, plutôt que les positives", limitant ainsi l'influence du "soft power" chinois.
Beaucoup reste également à faire en termes de connaissance mutuelle, estime Amadou Sarra Bâ, qui appelle ses confrères chinois à "visiter les pays africains"."Nous avons constaté en Chine l'étonnement des Chinois quand ils voyaient des Africains", raconte-t-il. "C'est comme si nous étions des extraterrestres venus d'une autre planète".