Salma a 23 ans, elle ne boit pas d'alcool, est fière d'être musulmane et apprécie d'aller à la mosquée le vendredi: "C'est comme un eldorado", dit-elle. A 29 ans, Rachid adapte sa pratique religieuse à son style de vie. "Si je me mariais, je serais peut-être plus pratiquant". Ces deux Belgo-Marocains nous parlent à cœur ouvert de la façon dont ils vivent leur religion afin d'illustrer la dernière étude de la Fondation roi Baudouin.
Les Belgo-Turcs et Belgo-Marocains sont-ils tous musulmans? La dernière étude de la Fondation roi Baudouin, répond aux questions de base que, peut-être, on n'aurait pas osé poser à nos amis, collègues ou voisins… Et le premier résultat de l'étude atteint presque les 100%: 95,4% des personnes belges d’origine marocaine se déclarent musulmanes. Elles sont 91,5% dans le cas du groupe belgo-turc interrogé.
Fiers d'être musulmans
Lorsqu’elle est revendiquée, indique l'étude, l’adhésion à l’islam constitue une identité positive: 70% des répondants d’origine marocaine sont fiers d’être musulmans. "Tout à fait!, confirme Salma, une étudiante en relations publiques de 23 ans, vivant à Asse, dans le Brabant flamand. Je ne suis pas nationaliste ou particulièrement fière d'être d'origine marocaine, en revanche je suis très fière d'avoir une relation intime avec dieu". "Personnellement, je ne revendique pas le fait d'être musulman, témoigne Rachid, un pompier et ambulancier bruxellois de 29 ans. Je ne le cache pas, mais je ne le crie pas sur tous les toits non plus. Je pense que cela vient de ma culture belge. Quand un Belge voyage au bout du monde, il ne sort pas son drapeau à tout bout de champ comme pourrait le faire un Américain, par exemple. Nous sommes plutôt discrets".
Certains adaptent leur pratique à leur style de vie
Certains pratiquent beaucoup leur religion et d'autres pas du tout. "Il y a aussi ceux qui "bricolent", c’est-à-dire qui prient mais ne vont pas à la mosquée, font le ramadan mais boivent de l’alcool, mangent halal mais ne portent pas le foulard, etc.", indique l'étude. Rachid se situe plutôt dans cette catégorie de personnes: "Je suis croyant mais pas pratiquant, précise-t-il. Ma pratique est adaptée à mon style de vie. Peut-être que si je me mariais, que j’avais mon chez moi, je serais plus pratiquant".
Salma, elle, ne transige pas avec les préceptes religieux, qui encadrent sa vie. A titre d'exemple, la jeune fille prie, se rend à la mosquée, pratique le ramadan et ne consomme jamais d'alcool.
Avant d'aller plus loin dans la pratique de la religion des Belgo-Turcs et Belgo-Marocains, un mot sur l'islam s'impose. Ci-dessous, plusieurs des cinq piliers de l'islam seront abordés. On compte donc la chahada (la profession de foi), les cinq prières quotidiennes, l'impôt annuel (la zakat, qui consiste à donner de l'argent aux personnes démunies), le ramadan (le jeûne qui dure un mois) et le pèlerinage à la Mecque (le hadj, qui consiste pour le croyant qui en a les moyens physiques et financiers, à se rendre à la Mecque).
Salma aime aller à la mosquée: "C'est une sorte d'eldorado"
Les Belges musulmans d'origine turque et marocaine vont-ils à la mosquée? La fréquentation du lieu de culte reste importante (64,7% des Belgo-Marocains s'y rendent), mais encore une fois, certains y vont souvent, d'autres, presque jamais. "Je vais rarement à la mosquée de moi-même, poursuit Rachid. En famille, ça arrive".
Selon l'étude, s'ils se rendent à la mosquée, c'est soit pour le sermon collectif du vendredi, soit lors d'une visite occasionnelle (pour prier ou pour partager un moment festif). C'est le cas de Salma. "J'y vais le vendredi et aussi pendant le ramadan, raconte-t-elle. Je ne m'y rends pas avec ma famille: j'y vais seule ou avec une amie". Bien qu'elle vive en Brabant flamand, la jeune fille préfère aller à la grande mosquée de Schuman, à Bruxelles, "parce qu'ils y parlent le français". "En fait, le discours est bilingue: un en arabe, un en français. Grâce au français et au fait que ce soit la mosquée principale, on y trouve de tout: il y a beaucoup de jeunes filles de mon âge, des converties de diverses nationalités".
Salma aime particulièrement aller à la mosquée. Elle y trouve une sorte de ressourcement. "Quand on est là, on ressent notre identité, on prie tous le même dieu, pour moi, c'est une sorte d'eldorado, confie la jeune femme. A la mosquée, tout le monde s'aide, se sert à boire, se laisse passer, les gens sont gentils, c'est vraiment un univers hors de la vie. Quand on en sort, c'est autre chose".
L'imam et la mosquée ne sont pas les principales sources d'influence
Souvent, les discours inspirent Salma. "Vendredi passé, c'était à propos de l'aumône et du sourire, mais dans leur aspect non matériel, c'est-à-dire, la bonne parole, visiter le malade, l'orphelin", la personne en souffrance ou qui connaît la solitude. Cependant, les sources d'inspiration de l'étudiante sont multiples: son père semble avoir une place influente. "Mon père vient de finir un Bachelier en sciences islamiques, se réjouit-elle. Il a fait son pélerinage à la Mecque. C'est quelqu'un de totalement ouvert, il est savant. Il me laisse sortir, voyager, voir mes amis".
L'étude montre que les sources qui influencent la foi des répondants sont très variées et, surtout, l’imam (et donc la mosquée en tant qu’institution religieuse) apparait peu. La familles, les livres, sont, en revanche, souvent cités.
Rachid, fait partie de la majorité des répondants de l'étude: il relativise le rôle de l'imam. "Un imam n’a absolument pas d’influence sur moi dans ma vie quotidienne. Je ne suis pas contre: il peut aider certaines personnes qui se posent des questions. Mais il faut que les imams nous ressemblent. Poser une question à un imam d’un certain âge qui a vécu les trois quarts de sa vie dans un pays du Maghreb, ça ne va pas. Il faut qu’il soit en connexion avec la réalité de la Belgique", estime-t-il en précisant ces sources d'inspiration religieuses: "Mes influences sont ma famille et surtout les livres et les gens érudits qui s’informent. L’avis des personnes ne m’intéresse pas beaucoup".
Rachid ajoute que l'islam "est une religion où il n’existe pas d’intermédiaire: il n’y a pas d’autorité religieuse. Elle est en lien direct. Et l’un des grands principes de l’islam est de s’informer. Il appartient donc à tout un chacun de le faire".
Le ramadan est extrêmement suivi
La pratique du ramadan met presque tout le monde d'accord côté marocain: 88% des répondants disent suivre toujours cette pratique. "Les femmes sont censées commencer à faire le ramadan lorsqu'elles ont leurs premières règles, précise Salma. Je l'ai donc fait à partir de ce moment-là. Pour moi, c'est un super bon moment. Je pense que si on a la foi, c'est agréable, sinon, ça peut être vécu comme une obligation. Aujourd'hui, j'attends ce moment avec impatience".
Salma vit le mois de ramadan comme un moment d'introspection. "On se remet en question, on pense aux piliers de l'Islam, on réfléchit à ses actes, on se demande ce que l'on va accomplir cette année et comment on peut s'améliorer, on ressent une paix intérieure". A ses yeux, il s'agit d'un moment religieux comme culturel: "J'aime ces traditions: le repas en famille le soir, la prière ensemble, toutes ces bonnes choses sur la table!"
Chez les Belgo-Turcs, ceux qui pratiquent toujours le ramadan sont au nombre de 66,2%, 21,5% le font occasionnellement et 12,3% ne le pratiquent jamais.
Rachid, pratique aussi la zakat, un autre pilier de l'islam relativement bien suivi : 71,8% des répondants d’origine marocaine le font, tout comme 71,6% des sondés du groupe belgo-turc. En charge de ses parents, Salma ne doit pas encore la pratiquer mais son père donne chaque mois "un pourcentage de ses revenus à une assosiation humanitaire islamique, Islamic Relief".
Et la prière? Selon l'étude, plus de 64% des répondants belgo-marocains disent prier quotidiennement.
Comme 94,6% des Belgo-Marocains, Rachid mange halal "le plus souvent possible", Salma, "toujours"
Côté alimentaire, le halal est une pratique extrêmement suivie : 83,8% des Belgo-Marocains le font et 73,7% des sondés du groupe belgo-turc affirment toujours consommer halal. "Si l’on ajoute la catégorie "le plus souvent possible", on atteint des scores respectifs pour chaque groupe de 94,6% et de 88,7%", note l'étude. "J’essaie de manger halal un maximum, dit Rachid. Parfois, ce n’est pas possible: des amis m’invitent en me disant qu’ils ont cuisiné du bœuf exprès pour moi. Je ne vais pas les envoyer balader en leur disant que leur boeuf n’est pas halal. Je m’adapte par respect, par ouverture".
Salma, elle ne transige pas. "Je mange toujours halal, assure-t-elle. J'ai connu une hésitation un jour, en voyage linguistique aux Etats-Unis: une dame avait préparé des hot-dogs pour tous les étudiants. C'était si gentil,... mais j'ai décliné". La jeune fille donne des cours de français et de mathématiques à une fillette tibétaine dont les parents cuisinent systématiquement pour Salma. "Pendant que je lui donne les cours, sa maman m'apporte toujours des plats mijotés, raconte-t-elle. C'est mal poli de refuser… Je lui dis simplement que je suis végétarienne et je mange les légumes".
90% des Belgo-Marocains ne boivent jamais d'alcool
Rachid dit boire "occasionnellement" de l’alcool. "Mais c’est plus festif", commente-t-il. A ce titre il ne rejoint pas les 90% de sondés belgo-marocains, qui disent ne jamais boire d'alcool. Salma en fait partie. "Ca étonne toujours les gens, surtout quand je voyage, observe-t-elle. Je me souviens de cette fête d'anniversaire à Miami où l'alcool était gratuit pour les filles. Mais voilà, je n'ai aucun complexe par rapport à ça: je dis que je ne bois pas d'alcool et je le vis bien".
Pour les Belgo-Turcs, le chiffre est un peu moins élevé: 80% des répondants disent ne jamais boire d'alcool.
"Je regrette de ne pas porter le voile tous les jours"
Le port du foulard suscite de nombreuses polémiques. A ce sujet, l'étude de la Fondation Roi Baudouin révèle une différence significative entre le groupe belgo-marocain et le groupe belgo-turc. 52,4% des sondées belgo-marocains le portent contre seulement 37,6% des personnes d’origine turque. "Nos résultats modèrent donc en partie l’idée du raz de marée annoncé et dénoncé dans certains discours politiques", commente l'étude.
Le cas de Salma est intéressant. La jeune fille ne porte le voile que lorsqu'elle se rend à la mosquée, pour prier le vendredi. Mais en réalité, elle souhaiterait le porter tous les jours. "Avant, je n'osais pas porter le voile sur le chemin vers la mosquée, mais depuis cette année, je le fais, reconnait-elle. J'avais peur du regard des autres. Qu'allaient penser mes amies belges? Allaient-elles accepter que "leur" Salma est "comme les autres Marocaines?", se demandait l'étudiante qui utilise volontairement des guillemets. "Finalement, rien n'a changé", se réjouit-elle. Seul regret: celui de ne pas porter le foulard tous les jours. "Je suis très ouverte, j'ai plusieurs jobs étudiants, je travaille dans un home le week-end, je fais des stages, etc. Je devrais l'enlever partout où je vais. Si c'est pour le mettre uniquement sur les trajets, ça n'en vaut pas la peine".
"Que chacun fasse le mieux pour soi, commente Rachid. Le souci, c’est qu’on est libre tant qu’on n’est pas trop différent. Dans mon entourage et à l’heure actuelle, les femmes qui portent le voile par contrainte, c’est très rare. Je n'ai jamais observé cela autour de moi. C’est une réalité que certains ne veulent pas voir".
La démocratie? "Oui" La séparation des affaires religieuse et de l'Etat? "Oui"
Du côté des valeurs, les Belgo-Turcs et les Belgo-Marocains, adhèrent de façon très majoritaire au système démocratique (80%). "En tant que Belge, je pense que la démocratie est le meilleur régime politique", estime Rachid. "Bien-sûr, ce serait moyenâgeux si on revenait en arrière", commente Salma.
Ils sont aussi 70% à adhérer à la séparation des affaires religieuses et de l’Etat. "C’est réellement positif", dit Rachid. "En tant que citoyenne belge, je trouve ça bien, renchérit Salma. La religion ne peut pas mettre son nez dans les affaires de l'Etat. Ça n'aurait pas sa place ici".
Concernant la liberté d'expression, ils sont 73% à y adhérer. "Pour moi, chacun dit ce qu’il veut", dit Rachid. Salma est plus réservée. La jeune fille préfère ménager les susceptibilités. "Ma liberté s'arrête là où commence celle des autres, dit-elle. Je m'exprime librement, mais si je dérange quelqu'un d'autre, pour moi on n'y est plus".
"Pour" le partage des tâches ménagères, mais "contre" la sexualité avant le mariage
Concernant la sphère privée, l'étude de la Fondation montre que les répondants sont majoritaires à estimer que les tâches ménagères doivent être partagées de manière égale entre le père et la mère (83%). Pour Rachid, "c'est la norme". Et selon Salma, ses parents sont un bon exemple. "Mon père a toujours fait énormément à la maison. Il nettoie, fait à manger. Lorsque ma mère a travaillé, il s'est occupé de moi toute la journée et m'a éduquée". L'étudiante précise toutefois qu'elle ne reproduira pas forcément ce schéma, au sein de son propre foyer.
Les répondants de l'étude sont majoritairement contre la sexualité avant le mariage (51%). "J'y suis opposée. J'ai encore ce rêve de mariage, dit Salma, avec candeur. Je trouve cela beaucoup mieux de se retenir, de s'abstenir au nom de notre religion". Rachid, lui, n'est pas convaincu. "La sexualité avant le mariage est une réalité dont il faut tenir compte, estime-t-il. Le schéma familial qu’on avait n’est plus d’actualité. Je dirais même qu’il ne fonctionne plus. Avant, on se mariait jeune. Le temps de développer une envie de sexualité, les personnes étaient déjà mariées. Actuellement, les mariages se font plus tard. L’envie est là et la possibilité de le faire aussi. Je ne suis pas sûr que pour assurer l’avenir d’un mariage, se préserver d’une sexualité avant, soit la méthode la plus efficace".
Homosexualité et euthanasie posent question
Selon l'étude, 60% des répondants se positionnent en défaveur de l'homosexualité. Salma tolère cette orientation sexuelle mais veut que le mariage reste réservé aux couples hétérosexuels. "J'ai des amis homosexuels et je les accepte tels qu'ils sont, affirme-t-elle. Je n'ai aucun souci avec eux. Je les considère comme des personnes à part entière. En revanche, je suis opposée au mariage gay, je trouve que ce n'est pas un bon équilibre pour les enfants".
Rachid, lui, ne porte pas de jugement sur les homosexuels, mais réagirait différemment s'il avait un fils gay: "Si on me demande comment je réagirais si mon fils était gay, eh bien je dirais que cela ne me ferait pas plaisir, admet-il. On a tous un idéal pour nos enfants, au fond de soi, on voudrait que nos enfants y correspondent. Par exemple, on préfèrerait qu'ils exercent tel ou tel métier. Si mon fils était homosexuel, je serai déçu car il ne correspondrait pas à l'image que je me fais de l'homme, à savoir quelqu'un de sportif, de viril, qui plaît aux femmes, etc. J'ai une vision un peu macho, peut-être que j'ai tort. Peut-être que tous ces traits de personnalité sont compatibles avec l'homosexualité. Peut-être que ce que j'imagine est faux. Peut-être que j'ai peur aussi".
Rachid précise qu'il réagirait ainsi uniquement si cela concernait son propre enfant: "Si mon voisin est homo, il fait ce qu'il veut, c'est son problème".
L’euthanasie pose aussi question pour les répondants de l'étude. Ils sont 58% à se positionner en défaveur de la possibilité de provoquer la mort pour abréger les souffrances physiques ou psychiques intolérables et incurables. "Je suis opposée à l'euthanasie, assume Salma. A mes yeux, quand on souffre, c'est une épreuve. Je souhaite que les personnes en souffrance puissent trouver quelque chose de fort, si ce n'est pas la religion, à laquelle se rattacher. Pour moi, on ne choisit pas sa mort, au même titre que sa naissance".
Rachid, lui est contre ce principe de façon globale. Ce qui ne l'empêche pas de ressentir de la compassion : "Je suis contre le fait de provoquer la mort. Mais un patient qui est en phase terminale d'un cancer, qui souffre, je peux comprendre que cette personne soit euthanasiée".
Si cette étude vous intéresse, vous pouvez feuilleter sa version intégrale. Elle existe aussi sous forme de résumé.
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