Wallons, vous ne rêvez pas. La taxe TV tant décriée est bel et bien dans la ligne de mire du ministre wallon du Budget, qui cherche la meilleure solution pour la remplacer. Une nouvelle qui réjouira particulièrement Mélissa et Sarah, deux jeunes filles qui, comme beaucoup de "nouveaux" dans le sud du pays, n'étaient pas au courant qu'elles devaient déclarer leur télévision. Résultat: jusqu'à 600€ à payer d'un coup. Retour sur le fonctionnement d'une taxe pas comme les autres, des efforts déjà faits par la Wallonie pour la rendre moins imbuvable et des solutions envisagées par le ministre pour la supprimer.
Qu’est-ce qui caractérise les Wallons ? Beaucoup boivent du peket fin septembre devant des concerts pour célébrer leur unité ? Ils ont appris le néerlandais à l’école mais n’en ont bizarrement plus aucun souvenir ? Ils ne tendent l’oreille aux infos trafic ou à la météo que lorsqu’ils entendent "dorsale wallonne" et "sillon Sambre-et-Meuse" ? Tout ça est souvent vrai, mais une chose est encore plus commune aux habitants du sud du pays : ils râlent tous parce qu’ils paient toujours une taxe pour simplement posséder une télévision !
Depuis que RTLinfo.be a inventé notre fameux bouton orange Alertez-nous il y a de nombreuses années, il ne se passe pas un mois sans qu’on reçoive des messages de plainte en ce sens. En 2012, nous avions d'ailleurs déjà réalisé une enquête qui dénonçait les nombreux problèmes inhérents à cette taxe, appelée officiellement "redevance télévision". Son principal souci, au-delà de son caractère anachronique, était (et est toujours) qu’elle n’est pas ponctionnée comme les autres taxes: elle est "déclarative". C’est donc à celui qui possède un téléviseur d’en avertir lui-même la Région, sous peine d’amendes et d’arriérés de paiements à verser. Pour ce faire, chaque ménage wallon a un délai de 60 jours pour prévenir le SPW (Service Public Wallon), via ce formulaire téléchargeable en ligne. Un délai qui n’était que de 30 jours lors de notre précédente enquête, mais qui a été allongé par le ministre wallon du Budget de l’époque, André Antoine (cdH), dans un décret de septembre 2013.
"Je vais devoir payer entre 300 et 600 euros d’un coup !"
Mélissa et Sarah, deux jeunes filles qui ont débuté dans la vie active en 2012 en ignorant cette obligation wallonne, font partie de ces personnes qui nous ont contactés.
Mélissa nous avait écrit à la mi-septembre. "Ce matin, quelle ne fut pas ma surprise en ouvrant ma boîte aux lettres de découvrir un courrier du Service Public de Wallonie (SPW) m'invitant à leur renvoyer un document concernant la taxe TV car ils ont en leur possession qu’un raccordement à un opérateur (VOO) est enregistré à mon nom depuis 2012. La surprise totale : à 100 euros la taxe télé par an, ça fait presque 500 euros sans parler des intérêts."
Sarah avait reçu le même courrier un peu plus tard: "Dernièrement, j'ai reçu un courrier du SPW concernant une enquête sur mon dossier vis-à-vis de la redevance TV. Le résultat est que je vais devoir payer entre 300 euros et 600 euros d'un coup (je suis en attente de la facture qui résultera de l'enquête) car ma TV n'as pas été déclarée depuis 2012."
Les téléopérateurs obligés de donner la liste de leurs nouveaux clients
Toutes deux ont donc reçu une demande concernant une taxe impayée depuis 2012. Comme Mélissa l’expliquait, la Wallonie l’a découvert via son opérateur télécom. En effet, tous les mois et toutes les années, les téléopérateurs présents en Wallonie comme Proximus ou VOO (pour ne citer que les deux principaux) sont obligés d’envoyer à la Région wallonne la liste de leurs nouveaux abonnés à un service de télévision. La Wallonie peut alors croiser celle-ci avec la liste des personnes ayant spontanément déclaré leur téléviseur. Ceux qui n’ont pas déclaré leur télévision mais qui ont pris un abonnement télé reçoivent alors un document appelé "Demande de renseignements destinés aux personnes physiques présumées détenir des appareils de télévision à des fins privées". C’est le point de départ de la procédure lancée par la Wallonie.
La Wallonie peut attendre longtemps avant de réclamer 2 x 100€ par année de retard
Mais cette procédure n’est pas systématique et peut prendre plusieurs années avant d’aboutir à l’envoi de ce courrier, comme c’est le cas pour nos deux témoins. Vous êtes même susceptibles de recevoir la visite d’un agent assermenté à votre domicile pour y vérifier la présence d’un téléviseur même sans avoir reçu cette demande au préalable.
Combien cela peut-il coûter? La redevance TV est de 100€ par an et par ménage. La Wallonie va donc vous réclamer 100€ par année durant laquelle vous n’avez pas déclaré votre téléviseur, avec un montant adapté pour la première année, en fonction du mois auquel vous avez souscrit votre abonnement.
Mais on vous le révélait lors de notre enquête de 2012, la loi relative à cette redevance prévoit une amende administrative de 100€ par année non déclarée. Si vous n’avez pas payé pendant 3 ans, comme Mélissa et Sarah, vous devez donc théoriquement à la Wallonie non pas 300€, mais bien 600€ ! Un doublement qui scandalisait nos témoins à l’époque.
Nouveauté : une seule amende de 25€ si vous êtes de bonne foi…
Heureusement, depuis 2012, des mesures ont été prises par le gouvernement wallon en faveur des contribuables de bonne foi… mais uniquement ceux-ci. Dans 3 cas de figure, "l’amende est devenue un montant forfaitaire unique de 25€ au lieu des 100€ par année", nous apprend Christophe Corouge, le porte-parole du SPW.
- Quand il y a régularisation spontanée hors du délai légal de 60 jours (et sans avoir jamais reçu de courrier de renseignement du SPW)
- Quand vous répondez à cette demande de renseignements en avouant posséder une télévision dans ce délai de 60 jours (ou hors de ce délai, à condition de pouvoir justifier d’un cas de force majeure qui sera laissé à l’appréciation du SPW)
- Quand vous recevez une visite à domicile d’un agent assermenté sans avoir jamais reçu la demande d’information par courrier, et avouez alors posséder un téléviseur
"Avec cette réduction, le SPW a tenu compte de la volonté du redevable de se mettre en règle spontanément ou du fait que le contribuable obtempère à la première injonction", explique Christophe Corouge.
Tout ménage wallon qui n’a jamais payé sa redevance TV mais n’a encore jamais reçu de demande du SPW a donc tout intérêt à la déclarer spontanément pour bénéficier de cette réduction d'amende.
La Wallonie ne peut remonter que 3 ans en arrière si vous ne payez pas directement
Mais si vous mentez et répondez au courrier que vous ne possédez pas de télévision, le SPW enverra un agent assermenté vérifier chez vous. Et si vous niez l’agent ou le courrier en n’y répondant pas, alors la Wallonie déterminera elle-même le montant qui lui est dû en fonction des informations dont elle dispose: essentiellement celles fournies par les téléopérateurs ou la constatation (par la fenêtre par exemple) faite par l’agent assermenté.
Dans tous les cas de figure, le contribuable wallon qui n’avait pas déclaré sa télévision reçoit ensuite une invitation à payer ses arriérés et l’amende assortie. Si vous ne la payez pas, cette somme devient alors une dette que vous devez légalement à la Wallonie, via l’enrôlement de vos arriérés de paiements et de vos amendes, qui entrainent l’envoi d’un avertissement extrait de rôle.
Le problème pour la Région wallonne, c’est qu’elle ne peut enrôler que ce qui lui est dû au plus tard 3 ans après la période à laquelle vous auriez dû initialement payer. Prenons par exemple l’année 2012 qui concerne nos deux témoins: la Wallonie avait jusqu’en 2015 pour leur envoyer l’avertissement extrait de rôle les invitant à payer l’année 2012. La somme enrôlée ne dépassera donc jamais 600€ maximum. Ce qui explique aussi pourquoi le SPW a envoyé à Mélissa et Sarah leur demande en 2015.
Des centaines d’huissiers envoyés aux trousses des mauvais payeurs depuis septembre
A partir de cet envoi de l’avertissement extrait de rôle, si celui-ci reste impayé, la Wallonie a encore 5 ans pour exiger la somme due via huissier de justice. Sur ce point aussi, la Wallonie souhaite arrondir les angles. "Avant, on n’envoyait pas de rappel entre l’avertissement extrait de rôle et l’huissier, mais c’est tout nouveau au niveau de l’administration wallonne, on envoie désormais un courrier de rappel", explique encore Christophe Corouge.
Et si vraiment le contribuable continue à ne pas payer, l’huissier de justice entre en jeu. La somme totale à payer sera alors augmentée de 90 à 100€, sans oublier les intérêts de retard, mais un plan de paiement sera possible.
C’est cette mission qui a été confiée à 153 huissiers le 1er septembre dernier. On vous l’annonçait d’ailleurs le 18 septembre : ils ont été envoyés aux trousses des mauvais payeurs de la redevance TV ainsi que de la taxe de circulation. Le but: récupérer 100 millions d’euros pour venir gonfler le budget wallon, en mal de rentrées financières. En tout, il y avait alors un arriéré de 400.000 cotisations non perçues, "parce que cela faisait plus ou moins deux ans que le SPW n’avait pas pu faire appel à un huissier" et que certaines sommes dues risquaient alors de dépasser la prescription de 5 ans, précise encore le porte-parole.
Bon point : les nouveaux arrivants sont enfin prévenus que cette taxe existe !
Si la Wallonie a donc décidé de s’attaquer à ceux qui lui doivent de l’argent, d’un autre côté, elle se montre plus compréhensive qu’il y a quelques années envers ceux qui veulent se mettre en ordre. C’est dans cette optique qu’elle a changé un autre point qui avait été copieusement décrié dans notre enquête de 2012… date à laquelle Mélissa s’était installée à La Louvière. "C'est mon tout premier appartement et je n'étais pas au courant que c’était à nous d’informer la Wallonie qu’on possédait une télévision. J’habite La Louvière et je n’ai jamais reçu aucune information de la commune à ce sujet. J'estime que ce n'est pas à nous citoyens de faire le travail de ces gens", explique-t-elle.
A l’époque, les communes wallonnes n’informaient pas leurs nouveaux arrivants de l’existence de cette taxe. Depuis lors, cela a un peu changé. "Le SPW, soucieux de privilégier une approche profitable aux citoyens et de leur éviter d’éventuelles sanctions, a entrepris diverses démarches d’information dont la mise à disposition de toutes les communes wallonnes de brochures informatives relatives à la redevance télévision, en vue de leur remise à tout nouvel habitant lors des formalités d’inscription dans la commune", explique le SPW. Son porte-parole résume la situation actuelle : "Les communes sont censées informer les nouveaux arrivants, mais elles n’y sont pas obligée." Les brochures du SPW peuvent donc malheureusement rester dans les cartons, personne n’en tiendra rigueur à l’employé communal qui se charge d’une domiciliation.
Mais une autre nouveauté va, elle, totalement dans le bon sens : "L’envoi à tout "primo-arrivant" venant établir son domicile principal en Wallonie, avant expiration du délai de déclaration de 60 jours, d’un courrier informatif évoquant l’existence de la redevance télévision et l’obligation de déclaration spontanée, accompagné d’un formulaire standardisé de déclaration de détention", explique encore le SPW.
Impossible de se passer des 110 millions qu’elle rapporte par an
La Wallonie tente donc de faire des efforts, consciente que sa redevance TV est pleine de failles et cause le mécontentement de tous. "Est-ce normal que cette taxe n'existe plus qu'en Wallonie? Car elle a été supprimée à Bruxelles et en Flandre. Pourquoi dans un même pays devons-nous continuer à payer une taxe que d'autres régions ne payent plus?", se demande par exemple Sarah.
Si les dernières demandes de l’opposition pour supprimer cette taxe n’ont pas été suivies par la majorité PS-cdH, c’est parce qu’aujourd’hui, le budget wallon ne peut tout simplement pas se passer des 110 millions d’euros de recettes annuelles qu’elle constitue.
Il faut savoir que sur des recettes totales de 12 milliards d’euros par an, elle arrive en 5ème position des taxes les plus rémunératrices, selon les chiffres du budget wallon 2015. Seuls les droits d'enregistrement sur les transmissions à titre onéreux de biens immeubles (871 millions), la taxe de circulation sur les véhicules automobiles (474 millions), les droits d'enregistrement sur les donations entre vifs de biens meubles ou immeubles (139 millions) et la taxe de mise en circulation (126 millions) rapportent plus.
"C’est le rêve de Christophe Lacroix de la supprimer"
Pourtant, le gouvernement wallon espère toujours, à terme, pouvoir supprimer cette redevance TV. Le dimanche 10 janviers dernier, le ministre-président wallon, Paul Magnette, le disait encore à Pascal Vrebos : "C’est le rêve de tout le monde et en particulier de Christophe Lacroix, le ministre wallon des Finances, de la supprimer. Mais il faut trouver la manière de la compenser. Si on peut supprimer cette taxe, on sera ravis de pouvoir le faire."
On a donc demandé à Christophe Lacroix (PS) si c’était son plus grand souhait d’en finir avec cette redevance TV. Et sa réponse est claire : "L’objectif ultime est en effet de la supprimer. Elle est mal perçue par le citoyen dès lors qu’elle a été supprimée ou remplacée dans les autres régions et qu’elle n’a plus aucun lien avec l’audiovisuel. En outre, cette redevance est devenue difficile à percevoir et relève d’une procédure inadéquate (obligation de déclarer, contrôle nécessitant des visites domiciliaires, ...)."
Il faudra forcément la remplacer par autre chose : des pistes sont à l’étude
Mais si la Wallonie peut se passer de la taxe en tant que telle, elle ne peut, "compte tenu des contraintes budgétaires, actuelles et à venir, notamment en lien avec les mesures prises par d’autres niveaux de pouvoirs" se passer des 110 millions qu’elle rapporte, avoue M. Lacroix. La supprimer veut donc forcément dire la remplacer par autre chose, une autre taxe ou une augmentation de taxes existantes : "Il est devenu aujourd’hui quasiment impossible d’éviter son remplacement, mais en aucun cas il ne s’agira de faire peser une charge plus lourde sur le contribuable, en particulier ceux dont les revenus sont dits modestes."
Plusieurs pistes sont donc à l’étude du côté du ministre, qui doit négocier avec ses collègues en charge d’autres matières dans lesquelles de l’argent pourrait être trouvé. "Plusieurs pistes sont toujours sur la table. Toutefois, dès lors qu’aucun accord n’a encore pu être obtenu, et dans un sain respect de mes collègues, j’omettrai de les évoquer."
Citons toutefois deux possibilités actuellement sur la table : la possibilité de moduler la taxe en la rendant moins chère pour les bas revenus et plus chère pour les hauts revenus. Ou encore sa suppression progressive.
Mais d’ici sa suppression, pas question de supprimer son caractère "déclaratif"
En attendant que M. Lacroix parvienne à ranger cette taxe au placard, il va cependant falloir faire avec le système en place. Et imaginer de rendre d’ici-là cette taxe non-déclarative n’est pas une option. "Compte tenu des nombreux cas d’exonérations prévus dans la législation -pour rappel, plus de 25% des ménages wallons sont exonérés de la redevance (voir encadré, ndlr)- cela engendrerait une refonte importante et coûteuse des processus alors que mon objectif est de parvenir à supprimer cette redevance", conclut le ministre.
Nul doute que s'il y parvient, il entrera dans l'"Histoire" comme le premier politicien à être parvenu à débarrasser les Wallons de leur taxe la plus détestée. Seul celui qui trouvera le moyen de réellement reboucher toutes les routes wallonnes pourrait frapper encore plus fort. Pour atteindre cette postérité, Christophe Lacroix a jusqu'en 2019 et la fin de cette législature. Allez Christophe, tous les Wallons sont derrière toi.
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