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Des petits lapins, des cartes de vœux, ou des bics, Françoise et Alain reçoivent de plus en plus de courriers de sollicitations. Et ceux-ci ne proviennent pas de commerces mais d'ONG, dont ils ne connaissaient parfois pas l’existence. Très ennuyé, le couple de Walhain s’interroge sur l’efficacité de telles pratiques marketing qu'ils jugent agressives. La fin justifie-t-elle les moyens? Nous avons posé la question à l'association Vétérinaires sans frontières.
Depuis quelques mois, Alain et Françoise reçoivent beaucoup (trop ?) d’appels aux dons de diverses ONG dans leurs boîtes aux lettres. Tout a commencé vers la fin de l’année dernière, lorsque le couple, qui habite Walhain dans le Brabant wallon, a exécuté un premier versement à
Agacés, les deux retraités n’ouvrent même plus les enveloppes: "Nous retournons systématiquement les courriers à l'expéditeur, sans les ouvrir, en espérant qu'ils mettent fin à ces dépenses inconsidérées de marketing".
Donner son accord? "La question ne se posait même pas"
Le couple s’interroge: pourquoi cette fréquence effrénée de sollicitations venant parfois d’organisations dont ils ne connaissent même pas le travail? Il se met alors à soupçonner l'association à qui il a fait un don. Constituerait-elle le point de départ? L'adresse du couple aurait-elle été transmise à d'autres? Françoise et Alain en sont persuadés: ils n’ont jamais donné d'accord à Vétérinaires sans frontières pour que leurs données personnelles soient transmises. "La question n'avait même pas été posée. On avait reçu un dépliant ‘Donnez un lapin et sauvez la vie d’un enfant’. Un numéro de compte était indiqué et nous avons fait le versement".
Françoise et Alain décident alors d'écrire directement à l’association par email. Celle-ci leur répond qu’elle ne revend ni ne loue ses bases de données.
Une association mais deux numéros de compte
Cependant, une vérification sur le site de Vétérinaires sans Frontières les amènent à cliquer sur un lien qui ouvre une page relative au respect de la vie privée.
On y apprend qu’il existe deux numéros de compte pour faire un don à l’association: un numéro avec lequel aucune donnée n’est transmise et un autre où les données sont insérées dans un fichier géré conjointement avec
Nos témoins veulent dénoncer ce qu’ils considèrent comme un manque de transparence de la part de l’ONG, car ils ont dû faire des recherches pour constater qu’au final leurs coordonnées avaient bel et bien été partagées avec d’autres associations. "Il devrait le dire clairement… Au moins être informé que si je verse sur tel compte, on transmet mes données. Vous imaginez ? Je dois aller sur leur site, avoir la présence d’esprit de cliquer sur le petit lien tout en bas pour découvrir ça", s’exclame Alain.
L’habitant de Walhain poursuit: "Je ne suis pas un pourfendeur d’ONG. Je ne pose aucun jugement de valeur sur l’intérêt et le bien-fondé de l’engagement dans ces actions. C’est uniquement le fait que je dois pouvoir décider librement si j’accepte que mes données soient transmises ou pas".
Les données personnelles des donateurs peuvent-elles être transmises par une association sans leur consentement explicite? Est-ce une pratique légale?
Dans un premier temps, nous avons contacté Vétérinaires sans frontières. Pour Josti Gadeyne, la responsable communication, les informations fournies par nos témoins "sont sorties de leur contexte".
"Dans la lettre qui accompagne le dépliant, il y une clause expliquant qu’avec un certain numéro de compte les données sont partagées avec plusieurs ONG. A tout moment, les donateurs peuvent nous contacter pour que leurs informations soient retirées de la base de données. Le dépliant est toujours envoyé avec la lettre. Il n’est jamais envoyé seul", assure le représentant de l'ONG.
Notre couple de retraités continue de recevoir des lettres d’associations et notamment de Vétérinaires sans Frontières. Et sur la dernière en date, qu’il nous a transmise en guise de preuve, un seul numéro de compte est mentionné, celui avec les données partagées.
Nous recontactons dès lors l’ONG qui précise que la clause de vie privée, mentionnant la base de données partagée avec DSC et la possibilité de "opt-out", autrement dit la faculté pour le donateur de cocher une case pour que ses informations personnelles ne soient pas partagées, n’est reproduite que dans le premier courrier adressé à de futurs donateurs.
"Dès que quelqu’un fait un don suite à cette première lettre, il reçoit nos lettres mensuelles qu’on envoie à tous nos donateurs fidèles sans mentionner la clause. Ceci est parfaitement légal. On peut bien sûr toujours faire plus… En tout cas, les donateurs peuvent trouver toute l’information sur notre site, où notre politique de vie privée est clairement communiquée", explique Josti Gadeyne.
Que dit la loi?
La loi met l’accent sur deux points essentiels en matière de marketing direct: le consentement et l’information. D’après la Commission de la protection de la vie privée, les personnes doivent donner leur consentement pour que leurs données soient partagées et elles doivent être informées de la finalité de l’utilisation de celles-ci.
Par ailleurs, ensuite, les personnes doivent pouvoir demander à une société d’être retirée d’une base de données. Le droit d’opposition est évidemment gratuit et ne doit pas être justifié.
Saisie d’une plainte, la Commission vie privée étudie le dossier. Ici à première vue, l’attitude de l’association ne pourrait être qualifiée d’illégale même si la Commission recommande en général une information claire sur l’utilisation des données dans chaque communication. Ce qui n’est visiblement pas réalisé dans ce cas-ci.
Un nouveau règlement européen doit entrer en vigueur en mai 2018. Il devrait clarifier certaines choses et être plus strict notamment au niveau du consentement.
De nouvelles règles plus strictes
Le fait de devoir cocher la case si vous ne souhaitez pas être mis dans la base de données, ne sera plus accepté. Ce sera le contraire, vous devrez faire l'action de cocher la case si vous voulez être mis dans la base de données. C’est le principe dit de "l’opt-in" qui est ainsi consacré, c’est-à-dire que le consentement doit être donné par un acte positif clair.
Le silence, l’utilisation de cases cochées par défaut ou l’inactivité ne pourront plus faire office de consentement.
Autre nouveauté: la commission, qui jusqu’ici n’avait qu’un pouvoir de médiation, aura désormais une compétence de sanction immédiate. Elle pourra notamment infliger des amendes administratives ou des mesures correctionnelles.
Mais à côté de la loi, il y a aussi la perception des donateurs. Pour Alain, la pratique marketing est "dérangeante" vu la nature de celle qui l'utilise. Il ne s'agit pas ici d'une entreprise mais bien d'une association, une organisation caritative. Par ailleurs, selon le retraité de Walhain, excessive, trop agressive, cette pratique risque de se retourner contre celle qui y fait appel. "Les associations devraient être beaucoup plus claires dans leurs communications. On va avoir tendance à ne plus ouvrir la moindre lettre d’organisme qu’on ne connaît pas, on va rester sur les associations qu’on connait, point à la ligne. A mon avis, c’est contre-productif par rapport au message", pense-t-il.
Oui, les ONG font aussi du marketing
Vétérinaires sans Frontières, de son côté, ne cache pas l’importance de ce travail de marketing. L’association travaille avec Direct Social Communications depuis 1998. "Les plus petites ONG font appel à des boîtes externes car elles n’ont pas les moyens, le personnel et les compétences pour faire ce travail toutes seules. C’est quasiment vital", justifie Josti Gadeyne.
DSC, Direct Social Communications, est un acteur incontournable du marketing des associations en Belgique. Nous n’avons pas réussi à joindre directement la société mais son site nous apprend que cette entreprise existe depuis 1985 et s’engage à aider les associations à communiquer le message le plus impactant qui soit auprès des donateurs potentiels pour collecter de l’argent. DSC dit également s’engager à préfinancer les campagnes et à en supporter le risque financier. Parmi ses clients, on compte des ONG aussi prestigieuses et notoires que la Fondation Damien, Handicap International ou les Banques alimentaires.
Chaque ONG décide avec DSC quand et combien de courriers elle envoie. L'entreprise conseille ses clients en fonction de son expertise et d’analyses mais au final c’est l’association qui choisit le nombre de sollicitations. Pour Vétérinaires sans Frontières, la moyenne est d’une fois par mois, mais les donateurs ont l’option de diminuer à quatre ou une fois par an.
La fin justifie-t-elle les moyens?
A force de solliciter les donateurs potentiels, est-ce que les associations n’ont pas peur que cela soit mal perçu?
L'asbl Vétérinaires sans Frontières est consciente qu’il y a un risque que cela soit considéré comme une pratique agressive. "Certaines personnes le disent, oui. Ca dépend des catégories d’âge. Nous avons plus ou moins 16.000 donateurs. Et ça coûte cher de personnaliser, alors on envoie la même lettre mais on sait que certains n’aimeront pas. C’est le risque… Quand Coca distribue des canettes, on ne se dit pas que c’est agressif. On a cette image de bénévoles et qu’on ne peut pas dépenser de l’argent, mais les frais de structure permettent de continuer les activités pour les bénéficiaires", souligne la responsable communication.
Ce type de marketing serait donc aussi le moyen le plus efficace de récolter des dons et donc de faire avancer les causes défendues par ces associations. "La lettre, parfois accompagnée de petits gadgets, coûte entre 80 centimes et un euro. Si la personne donne 40 euros, le retour sur investissement est énorme. On travaille avec l’argent public et les dons, on n’a pas beaucoup de moyens pour vraiment essayer de nouvelles choses en matière de marketing", détaille Josti Gadeyne.
Et cette récolte de dons, cruciale pour les associations, n’est clairement pas facile... "Demander de l’argent, c’est souvent mal vu, que ce soit via le recrutement en rue ou via le marketing direct. Et la génération actuelle est de plus en plus critique. Donc il faut se préparer à répondre à ce type d’interrogations".
Quoi qu’il en soit, Françoise et Alain se promettent d’être plus vigilants à l’avenir. "Même quand on commence à prendre de l’âge, on nous voit encore naïf. De plus en plus, il faut regarder les toutes petites écritures, les toutes petites mentions en bas de page et avec le web, ça ne s’arrange pas. Il faut faire des recherches pour voir si effectivement on n’abuse pas un peu de notre confiance", regrette Alain.