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Aurore se bat depuis 1 an contre un hôpital pour ne pas payer un thermomètre à 6,2€: qui va gagner?

Aurore se bat depuis 1 an contre un hôpital pour ne pas payer un thermomètre à 6,2€: qui va gagner?
 
 

Au travers de l’histoire d’une patiente, RTLinfo.be vous explique les rouages d’un système de récupération des dettes très règlementé en Belgique. Si une société de recouvrement doit un jour vous contacter, pas de panique: tout en étant du côté de ceux à qui vous devez de l’argent, ils tentent pourtant bel et bien de vous aider. Explications:

Aurore a une maladie chronique. Habituée des hôpitaux, elle y est admise au moins 5 fois par an, la plupart du temps dans l’hôpital le plus proche de son domicile, la Clinique Saint-Pierre d’Ottignies. Elle connait donc par cœur les rouages du système. Dans cette clinique, s’il faut prendre votre température, un nouveau thermomètre sera obligatoirement utilisé… et vous sera facturé 6,2€. Une somme qui n’est jamais couverte par la mutuelle ou une assurance hospitalisation. Vous pourrez ensuite le rapporter chez vous, puisque vous l’avez acheté. Connaissant cette pratique, Aurore se munit systématiquement d’un de ces thermomètres de l’hôpital quand elle doit y être admise. Le problème, c’est qu’une des dernières fois, Saint-Pierre lui a tout de même facturé un nouveau. "Depuis un an, j'ai un litige avec leur service contentieux pour un thermomètre que je n'ai jamais reçu", nous a-t-elle dénoncé via notre page Alertez-nous.

Ce qu’elle critique, au-delà de cette erreur, ce sont les moyens utilisés par l’hôpital pour récupérer son dû. En effet, il a fait appel à une société de recouvrement de dettes. "Je n'ai jamais autorisé la Clinique à transmettre mes données personnelles à une tierce partie. De plus, cette société n'a aucune légitimité car nous n'avons jamais été conviés à une audience au tribunal et aucun huissier n'a été mandaté afin de récupérer le solde", estime Aurore.


Le thermomètre payant, c’est légal et même habituel

Concentrons-nous premièrement sur l’origine du problème : cette histoire de thermomètre. Il faut savoir que non seulement ce n’est pas illégal, mais que c’est même une pratique courante dans le milieu hospitalier. Si certains stérilisent leurs thermomètres pour les réutiliser, il est habituel en Belgique de le faire payer au patient. C’est d’ailleurs écrit noir sur blanc dans le document intitulé "Explications concernant la déclaration d’admission" que vous devez signer à votre admission à la Clinique Saint-Pierre, fait remarquer son directeur administratif, Philippe Delvaux. Une liste des services payants avec leurs prix figure d’ailleurs sur ce document. On apprend ainsi que la télévision coûte 5€ par jour, qu’un repas du soir pour un accompagnant coûte 6€, qu’un jus d’orange sera facturé 0,5€ ou encore que si vous avez oublié votre dentifrice, vous pouvez en obtenir un auprès de l’hôpital pour également 0,5€.


L’hôpital n’a aucune trace écrite de sa demande

Sur ce document, il est écrit concernant les thermomètres: "Sauf si vous apportez votre thermomètre personnel (à signaler obligatoirement à l'infirmière), la clinique vous en fournira un automatiquement, et pour des raisons d'hygiène celui-ci vous sera facturé que vous l'emportiez ou pas lors de votre départ." Mais Aurore l’assure: elle avait le sien et l’a signalé au personnel soignant. A la Clinique, on reconnait que des erreurs concernant la facturation des thermomètres arrivent parfois. En effet, "99,9% des patients ne viennent pas avec le leur." Mais le problème d’Aurore, c’est qu’il ne reste aucune trace écrite de sa demande. C’est donc sa parole contre celle des infirmières. Voilà pourquoi l’hôpital, après avoir analysé le litige introduit par Aurore, refuse de laisser tomber cette dette. La facture et son rappel n’ayant pas été payés par la patiente, Saint-Pierre a dès lors confié l’affaire à la société liégeoise International Recover Company (IRC Group), une des deux sociétés de recouvrement de dettes avec lesquelles la Clinique travaille.


Presque tous les hôpitaux externalisent leur service juridique auprès d’une société de recouvrement

C’est cette intervention d’un organisme tiers qui déplait à Aurore, juriste de formation. "Légalement, la Clinique a un avocat ou un juriste qui va envoyer une requête à la Justice de paix. La personne sera convoquée au tribunal et s’il elle est reconnue coupable, le tribunal mandate un huissier légalement pour récupérer la dette", estime-t-elle. Mais Saint-Pierre ne dispose pas d’avocats ou de juristes. Comme la plupart des hôpitaux, la Clinique externalise, sous-traite donc ce service, auprès d’une société de recouvrement ; tout comme le font des sociétés purement commerciales telles que certaines sociétés de télécommunication. "Cela concerne des milliers de factures non-payées. C’est leur travail de nous représenter. Une fois le dossier chez eux, il n’est plus entre nos mains", explique M. Delvaux, qui voit tout de même une nuance avec les sociétés commerciales: "Nous sommes dans le social, on ne pratique donc pas les mêmes tarifs de pénalité qu’elles." Dans notre affaire, IRC Group est donc devenu l’unique interlocuteur d’Aurore.


Bien lire les documents que vous signez à votre admission à l’hôpital

D’autant que notre témoin aurait dû savoir qu’elle s’exposait à l’intervention d’IRC Group. En effet, le recours à une société de recouvrement en cas de litige prolongé est stipulé noir sur blanc par l’hôpital dans les documents qu’un patient reçoit à son admission et qu’il doit signer. Y sont stipulées les pénalités et intérêts de retard successifs, puis le fait que "toute facture restée impayée après notre unique rappel sera envoyée, pour récupération, à un avocat et/ou une société de recouvrement mandatée par la Clinique afin de coordonner la récupération par voie amiable et/ou judiciaire avec application des pénalités de retard" susmentionnées.


Aucun problème selon Test-Achats

Du côté de Test-Achats, qui a réalisé plusieurs dossiers sur la question, on rappelle qu’une loi régit très clairement le rôle de ces sociétés de recouvrement. Il s’agit de la "Loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur". Ces propositions d’arrangements amiables interviennent avant l’action en justice, pour justement éviter celle-ci. Pour Julie Frère, la porte-parole de Test-Achats, qu’un hôpital externalise son service juridique auprès d’une de ces sociétés n’est "pas choquant", tant que celle-ci "respecte la législation en vigueur", cette fameuse loi de 2002.


Qui sont ces sociétés et comment fonctionnent-elle?

International Recover Company, la société de recouvrement qui travaille avec Saint-Pierre, n’a rien à cacher. Créée en 1993, elle est basée à Saint-Nicolas, près de Liège, et gère environ 200.000 factures en moyenne par an pour une centaine de clients, toujours au niveau local via également ses antennes de Namur et de Genk. Vinciane Jocqueau, une de ses 2 administrateurs délégués, a accepté de témoigner pour RTLinfo.be.


Avant 2002, c’était la jungle

Elle se dit à 100% derrière la législation belge: "Avant 2002, tout le monde faisait ce qu’il voulait et réclamait les frais qu’il voulait", maintenant, une société de recouvrement doit "être inscrite auprès du ministère des Affaires économiques" pour pouvoir exercer légalement. Ensuite, elle est régulièrement contrôlée par celui-ci, qui "vérifie même la façon dont on tourne nous courriers". C’est ainsi qu’IRC Group a par exemple déjà dû changer certains mots de vocabulaire qu’elle utilisait auparavant. La loi prévoit aussi qu’un débiteur mécontent "peut porter plainte auprès du ministère des Affaires économiques" contre la société de recouvrement qui se charge de lui faire payer sa dette.


"On a un rôle de travailleur social, on reçoit même des cartes de vœux de débiteurs!"

Comment procèdent-ils? Concrètement, une fois que leur client, ici l’hôpital, leur a confié le dossier d’un débiteur qui n’a pas payé son ou ses rappels, ils commencent par la lettre légale de mise en demeure. Puis ils multiplient les rappels par courrier, les appels téléphoniques, les SMS ou envoient un agent indépendant au domicile du débiteur. Leur but? Récupérer l’argent dû… à l’amiable. "En général, les débiteurs veulent bien payer mais ne savent pas comment. Nous, nous sommes en contact avec les services de médiation de dettes et les CPAS pour essayer de les aider. Si quelqu’un doit payer 200€, mais qu’il ne peut en payer que 20 par mois, et bien on lui fait un plan d’apurement. Ça peut arriver à tout le monde une facture impayée. On reçoit même des cartes de vœux de remerciement des débiteurs car on les a aidés! On a un rôle de travailleur social en fait, on discute, on trouve des solutions. Vous savez, certains de nos agents sur le terrain se promènent avec des vêtements de seconde main ou des jouets au moment de Saint-Nicolas quand ils rendent visite à des débiteurs. On voit des cas difficiles tous les jours et on tente de les aider."


Certaines sociétés font faillites à cause des mauvais payeurs

Mais à moins qu’une personne soit insolvable, elle doit payer ses dettes. Laisser tomber celles-ci, c’est ouvrir la porte au problème inverse. "Le client a besoin de son argent et s’il n’est pas payé, il peut aller jusqu’à la faillite. On a eu des clients à qui on devait des sommes tellement énormes qu’ils se sont d’abord eux-mêmes endettés pour survivre et qui ont finalement fait faillite. Notre mission première, c’est d’aider ces entreprises", explique Mme Jocqueau.


"Certains jouent avec le système" car beaucoup de sociétés ne vont pas en justice pour réclamer leur dû

Mais les débiteurs aussi peuvent être aidés. Car sans solution à l’amiable, ils s’exposent à des poursuites judiciaires dont l’issue leur est souvent défavorable et beaucoup plus coûteuse. "Certains jouent avec le système alors qu’ils ont de l’argent et d’autres qui n’en ont pas beaucoup sont, eux, fiers de pouvoir payer leurs factures. Certains débiteurs tablent sur le fait que leur créancier ne les poursuivra pas car ça coûte cher. Voilà pourquoi certains ne paient qu’en judiciaire et que dans un petit pourcentage de cas, il nous est impossible de récupérer l’argent à l’amiable."


Les sociétés de recouvrement ne roulent pas sur l'or...

Dans ce cas, le rôle d’IRC Group s’arrête là. "Nous clôturons notre intervention et c’est à notre client à décider s’il attaque ou pas. S’il décide d’aller en justice, on lui propose alors soit notre propre service d’avocats, soit on le met en contact avec d’autres." Et si le client décide d’abandonner, alors "on ne touchera rien pour notre travail". En effet, IRC Group "fonctionne en ‘no cure, no pay’, ce qui signifie que si on ne récupère pas l’argent dû, on ne prend rien". Au contraire, à l’issue d’une créance enfin payée grâce à leur intervention, "on récupère une partie, une commission". Voilà comment ces sociétés sont rémunérées, à force de petites sommes qui s’additionnent, ce qui n’en fait cependant "pas l’entreprise la plus lucrative" qui existe, concède l’administratrice déléguée.


Aucune donnée médicale transmise, donc légal

Dernier point contesté par Aurore: les données personnelles. La Clinique avait-elle le droit de fournir les données personnelles de notre témoin, patiente et non cliente, à cette société? La réponse est bel et bien oui. Premièrement, Aurore a signé le document stipulant que la Clinique pourrait faire appel à une société de recouvrement si besoin. Elle a donc marqué son accord au fait que ses coordonnées leur soit transmise le cas échéant. Deuxièmement, le secret médical a bien été préservé. En effet, IRC Group n’a pas reçu les détails et raisons de son hospitalisation. "Le respect de la vie privée des débiteurs, c’est un point sur lequel on est intransigeants", explique Mme Jocqueau. "Ils nous donnent des informations qu’on ne peut divulguer car on est tenu au secret professionnel et à celui de la vie privée. On reçoit des noms, des dates et des chiffres, mais jamais aucune donnée à caractère médical. Il arrive que des débiteurs nous demandent pour quelle type d’analyse ont leur réclament de l’argent. Et bien on n’est tout simplement pas en mesure de leur répondre parce qu’on n’en sait rien."


Qui va gagner?

Voilà pourquoi, malgré des questionnements légitimes, notre témoin se retrouve aujourd’hui dans une position délicate. Ça sera bientôt à la Clinique Saint-Pierre d’Ottignies de décider si elle l’attaque ou non au tribunal, puisqu’elle refuse de payer la somme demandée par IRC Group. Elle se dit prête à assumer et aller plaider sa cause en justice. Pour ce faire, il faudra cependant prouver qu’elle avait bien apporté son propre thermomètre le jour de l’hospitalisation et qu’elle l’a bien signalé aux infirmières qui l’ont bel et bien utilisé, ce dont l’hôpital n’a aucune trace. Dans ce cas de figure, Aurore risque peut-être de perdre. Mais si la Clinique laisser finalement tomber et ne la poursuit pas, l'erreur étant humaine et un oubli dans les retranscriptions étant toujours possible, dans ce cas, elle aura gagné.


 

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