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"La République laïque, toujours et pour toujours?": la question taraude les préfets, rassemblés jeudi à la Sorbonne pour réfléchir aux défis de la "laïcité à la française" face aux "pressions communautaristes" et à la "plus grande visibilité de l'islam".
Président de l'Association du corps préfectoral à l'origine de ce premier Colloque Claude-Erignac, Jean-François Carenco l'assure: "Nous avons choisi le sujet bien avant le débat sur le burkini", le vêtement de bain qui a agité l'été. Mais "acceptons de dire que c'est la montée de la religion musulmane qui vient nous interpeller", a poursuivi le préfet d'Île-de-France.
Clôturant cette journée, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a appelé les préfets à la "vigilance" car la laïcité est "une valeur contestée et parfois dévoyée". Par ceux qui la refusent "au nom d'un communautarisme qui est le contraire de la République" mais aussi, a-t-il ajouté, "par ceux qui détournent cette valeur libérale pour en faire un instrument d'exclusion" à l'égard de l'islam.
Quelques-uns des principaux spécialistes de la question sont venus dire ce qu'ils mettaient sous cette "laïcité à la française": liberté de conscience et de culte, séparation des religions et de la puissance publique, égalité des droits. Mais au-delà du consensus sur des principes garantis par la loi de 1905 et la Constitution, les sensibilités diffèrent.
"Il faut refonder la laïcité en parant aux régressions les plus sévères", estime Blandine Kriegel, ex-présidente du Haut Conseil à l'intégration. Prenant l'exemple du burkini, elle s'interroge: "Est-ce que les libertés de conscience et de circulation sont plus fondamentales que l'égalité homme-femme? Voilà toute la question".
En revanche, la philosophe pense que "le temps est venu d'aider" financièrement "les musulmans à construire leurs lieux de culte et à former des imams respectueux de la République".
Pas question pour son confrère Henri Peña-Ruiz selon qui "on ne doit pas opérer par le mécénat". Dire "+je paye l'orchestre, donc je choisis la musique+ n'est pas digne de la République".
Le préfet des Alpes-Maritimes, Adolphe Colrat, relève lui qu'il peut inaugurer une cathédrale rénovée avec l'évêque et "l'installer sur sa cathèdre", alors que, souligne-t-il, "nous prenons un air gêné quand il s'agit de consacrer quelques deniers à nos compatriotes de confession musulmane".
A Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le maire socialiste Olivier Klein a "l'obligation de restaurer l'église", propriété de cette commune de 30.000 habitants, pour plus d'un million d'euros, tandis que la communauté musulmane attend depuis plus de dix ans sa mosquée. "Il y a là une inégalité de traitement. Pour lutter contre les problèmes identitaires il faut être plus équitable".
- 'Prosélytisme à bas bruit' -
En prison, "le fait religieux connaît une réémergence forte", selon la directrice sortante de l'administration pénitentiaire Isabelle Gorce, on y a "laissé sans doute s'épanouir un prosélytisme à bas bruit". Pour y faire face, l'État compte notamment sur le renforcement du statut et de la rémunération des aumôniers musulmans, qui sont aujourd'hui 217, un nombre qui a "plus que triplé en dix ans".
Les revendications religieuses existent aussi en milieu hospitalier, mais "nous ne sommes pas tous les jours à régler des problèmes de ce genre", souligne pour sa part Slim Lassoued, chef de service à l'hôpital de Cahors et président de la Ligue des droits de l'Homme dans le Lot. "Ce qui m'inquiète le plus, c'est le problème des jeunes". Or "aborder la radicalisation par la laïcité, c'est comme aborder la toxicomanie par la médecine préventive, alors que c'est beaucoup plus compliqué que ça".
Chacun, finalement, reste campé sur ses positions. Le président de l'Observatoire de la laïcité, l'ex-ministre PS Jean-Louis Bianco, admet les "pressions communautaristes et la visibilité plus grande de l'islam" mais souhaite défendre la laïcité par "la loi, toute la loi, rien que la loi, sereinement".
Le ton de Gilles Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, est plus combatif. "Il y a des conflits partout, dans les services publics, en entreprise", selon ce proche de Manuel Valls qui défend "la notion d'engagement": "On ne peut pas se projeter dans une société où tout serait réglé par le droit."