Environ 500.000 personnes, selon les médias, manifestaient dimanche soir en Roumanie malgré le recul du gouvernement sur un assouplissement de la législation anticorruption, au sixième jour d'un mouvement de contestation d'une ampleur sans égal depuis la chute du régime communiste.
Après les promesses, les actes: le gouvernement roumain a capitulé dimanche et abrogé comme il l'avait annoncé le décret assouplissant la législation anticorruption afin d'éteindre la colère des protestataires qui restent mobilisés après six jours de manifestations massives.
"Le gouvernement a approuvé le projet d'abrogation du décret d'urgence", a annoncé le gouvernement social-démocrate à l'issue d'une réunion extraordinaire convoquée pour retirer ce texte ayant donné lieu au plus grand mouvement de contestation populaire depuis la chute du communisme et à un nouveau rassemblement géant dimanche soir à Bucarest.
Le texte faisait craindre une réduction de la lutte contre la corruption
Critiqué après avoir fait adopter cette révision du code pénal par décret, laissant de côté le parlement, le Premier ministre Sorin Grindeanu a promis de "rapidement ouvrir des débats publics avec tous les partis politiques et avec la société civile".
Le texte initial réduisait sensiblement les peines encourues pour abus de pouvoir et introduisait un seuil minimum de préjudice de 200.000 lei (44.000 euros) pour entamer des poursuites dans la plupart des affaires de corruption. Il faisait craindre à ses détracteurs une régression de la lutte contre la corruption qui s'est intensifiée ces dernières années en Roumanie.
"On va rester attentif pour ne pas se faire avoir"
"J'espère qu'il s'agit d'une vraie annulation. Ils ont dit qu'ils étaient à l'écoute mais ils veulent revenir avec un nouveau texte au parlement. On va rester attentif pour ne pas se faire avoir", a réagi Daniel, 35 ans, traduisant la méfiance des contestataires qui, pour beaucoup, réclament la démission du gouvernement en place depuis un mois.
Le chef du parti social-démocrate (PSD), Liviu Dragnea, a durci le ton dimanche soir : "si les manifestations continuent après l'abrogation de ce décret, il deviendra clair qu'il s'agit d'un plan ourdi après les élections législatives" de décembre pour faire chuter le gouvernement, a-t-il avancé.
Nouvelle manifestation monstre ce dimanche: "Nous voulons des dirigeants compétents"
Signifiant qu'ils ne baissaient pas la garde, près de 250.000 manifestants (selon les médias) ont de nouveau rallié dans la soirée de ce dimanche la place Victoriei, où se trouve le siège du gouvernement, dans un concert de sifflets, de cornes, dans une mer de drapeaux roumains bleu, jaune, rouge.
Bogdan Basareb, spécialisé dans les médias sociaux, se réjouissait de "la bonne leçon" infligée aux dirigeants : "Nous sommes vivants, nous sommes là, nous en avons assez !" "J'ai confiance en cette jeune génération, j'ai le sentiment que les choses vont changer cette fois car les Roumains en ont marre des abus", confiait un retraité.
Les jeunes urbains, venus souvent manifester en famille, ont fourni le gros des troupes à ces rassemblements. Le soir venu, la contestation s'est répandue dans de très nombreuses villes de ce pays de vingt millions d'habitants. Pays qui a traversé plusieurs périodes d'instabilité politique au cours des dernières décennies.
Rado, 27 ans, a sacrifié ses cent kilomètres de vélo dominicaux pour une protestation immobile sur sa bicyclette, dimanche matin, face au siège du gouvernement. "Il y a encore tellement de corruption dans le gouvernement, au sénat, partout. Nous n'en pouvons plus (...) nous voulons des dirigeants compétents, qui gouvernent pour le peuple, pas pour eux-mêmes et leur compte en banque", s'insurgeait le jeune homme.
Les justifications du Premier ministre
Le Premier ministre, les traits tirés, a expliqué son revirement en affirmant qu'il ne souhaitait pas "diviser la Roumanie" avec cette réforme pénale. Il a réaffirmé que la motivation du gouvernement avait été de mettre le code pénal en conformité avec la Constitution. Le gouvernement disait aussi vouloir ainsi désengorger les prisons.
Le gouvernement a été critiqué pour avoir voulu mettre à l'abri de la justice M. Dragnea, actuellement en procès dans une affaire d'emplois fictifs. La Commission européenne et le département d'Etat américain avaient exprimé leur préoccupation. M. Dragnea, qui s'est déjà vu infliger deux ans de prison avec sursis dans un précédent dossier, s'est défendu d'être l'un des bénéficiaires du décret, dénonçant une campagne de désinformation.
Le gouvernement a par ailleurs transmis cette semaine au parlement un projet de loi, également critiqué, visant à gracier 2.500 détenus, dont certains pourraient être des élus condamnés.
Chassé du pouvoir fin 2015 par des manifestations contre la corruption, le PSD jouit d'une solide base électorale dans les milieux ruraux et défavorisés, qui l'ont à nouveau plébiscité aux dernières législatives, sur fond de promesses de hausse des prestations sociales.
Vos commentaires