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Vermeer, un génie œuvrant en solitaire dans l'univers silencieux de son atelier? Une exposition au Louvre démonte cette légende, reliant ce maître à tout un réseau de spécialistes de la peinture de genre, si prisée à la fin du 17e siècle dans les Provinces-Unies.
"Vermeer 'Le Sphinx de Delft', une expression à laquelle nous voulons tordre le cou", affirme sans ambages Blaise Ducos, l'un des commissaires de l'exposition qui ouvre mercredi et durera jusqu'au 22 mai. Ce qualificatif célèbre, dû au Français Théophile Thoré-Burger, redécouvreur de Vermeer à la fin du 19e siècle, a masqué la réalité d'un artiste en lien avec des peintres de tout le pays. "L'exposition n'est pas une monographie, elle présente Vermeer (1632-1675) parmi ses pairs, ses rivaux, ses collègues, ses suiveurs", souligne Blaise Ducos, conservateur de la peinture flamande et hollandaise au Louvre.
"La Lettre", "La Dentellière", "Le Géographe" et l'iconique "La Laitière" : douze de ses œuvres - un tiers de sa production connue - sont réunies dans l'exposition qui compte 70 tableaux et nombre d'artistes importants tels Gérard Dou, Gerard ter Borch, Jan Steen, Pieter de Hooch, Gabriel Metsu... Une exposition au Met à New York, "Vermeer et l'école de Delft", avait abordé les réseaux artistiques du peintre dans la ville où il est né et a travaillé toute sa vie. "Nous avons étendu le raisonnement à l'échelle du pays", le plus riche de son temps, doté du meilleur réseau de transport de l'époque et régnant sur les mers, du Japon au Brésil, explique le commissaire.
Dans cette société à son apogée, une niche artistique voit le jour entre 1650 et 1675, la scène de genre raffinée, dont Vermeer n'est qu'un des protagonistes. Une peinture destinée à une élite - riches commerçants, bourgmestres, actionnaires de la Compagnie des Indes - la nouvelle aristocratie de la jeune République des Provinces-Unies, proclamée en 1648.
"La Hollande de l'époque, c'est New York", résume Blaise Ducos.
-'Siècle d'or hollandais' -
L'exposition met en évidence une circulation des mêmes thèmes entre les artistes - la leçon de musique, les perroquets - et décline "l'éventail des relations possibles" entre eux, explique Blaise Ducos: "plagiat, émulation, citation, hommage, sans oublier ceux qui sentent le filon artistique".
Vermeer est souvent en bout de chaîne, il recueille les idées des autres et les métamorphose. Que les "vermeeriens" purs et durs se rassurent : l'auteur de "La Jeune Fille à la perle" ne s'est pas contenté de copier ou de reprendre des thèmes traités, parfois brillamment, par ses rivaux. Il les a magnifiés. De cette confrontation, il sort largement vainqueur. Personne ne sait mieux que lui exprimer le temps suspendu, la lumière naturelle. D'une peinture moderne - le terme apparaît à cette époque -, créée en réaction à la grande peinture d'histoire, il fait une peinture morale.
Mort ruiné à 43 ans, Vermeer travaillait lentement : deux à trois tableaux par an et sans doute pas plus de 50 œuvres au total (dont 32 nous sont parvenues). Un nombre particulièrement faible dans un pays où l'on a peint plus que dans tout autre dans l'histoire de l'art occidental : cinq millions d'œuvres ont été produites durant le 17e siècle dans les Provinces-Unies.
Une oeuvre de Vermeer est devenue une icône de la nation néerlandaise : "La Laitière". A l'égal de la "Jeune fille à la perle" surnommée la "Joconde du Nord", "La laitière" a acquis "un statut considérable dans la conscience collective et pas seulement néerlandaise", souligne Blaise Ducos. Conservée au Rijksmuseum d'Amsterdam, elle voyage peu et n'était pas venue à Paris depuis 1966. Elle ne figurera pas à la National Gallery de Dublin (17 juin - 17 septembre) ni à la National Gallery of Art de Washington (22 octobre - 21 janvier 2018) où l'exposition doit ensuite être présentée.
L'exposition Vermeer s'inscrit dans une saison du Louvre dédiée au Siècle d'or hollandais, avec une sélection de la collection Leiden réunie par Thomas Kaplan et qui compte onze Rembrandt.