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Décryptage - Comment faire "parler" les armes lors d'enquêtes criminelles? Un expert en balistique nous dit tout

Les experts judiciaires sont essentiels au bon déroulement d'une enquête. Les premières fonctions qui viennent à l'esprit sont forcément les médecins légistes ou encore les psychiatres. Ce sont les plus connues. Mais il en existe un tas d'autres, comme les serruriers ou les entomologistes par exemple. Ou encore les experts en balistique, ou balisticiens mécaniques. C'est cette profession qu'exerce José Serrano, spécialiste en analyse des armes à feu. Il nous révèle les secrets de son métier, et comment il réussit à faire "parler" les armes. 

Ce lundi, on apprenait que le chanteur à succès, Kendji Girac, était hospitalisé après avoir reçu un tir d'arme à feu. A l'arrivée des secours, le chanteur de 27 ans présentait "une plaie par balle au niveau du thorax" et "ressortant au niveau du dos". Kendji Girac a également précisé aux enquêteurs qu'il s'agissait d'un pistolet automatique d'un calibre 11 qu'il avait précédemment acheté.

Mais les circonstances restent encore floues: le chanteur parle d'un tir accidentel qu'il se serait fait lui-même, chose confirmée par sa famille. Pour en avoir le coeur net, l'arme, qui a été retrouvée, est en train d'être analysée par les experts. Mais comment font-ils pour réussir à faire "parler" une arme? José Serrano, expert en balistique depuis 1996, nous révèle les secrets de son métier: "On peut obtenir énormément de réponse à l'examen d'une arme", assure-t-il. 

Dans quel cas un expert en balistique intervient-il? 

Grâce aux progrès constants de la science, les experts en criminalistique sont devenus des acteurs incontournables des enquêtes judiciaires. Ce sont eux qui, au-delà des témoignages, des recoupements et des aveux, apportent des réponses et des preuves. José Serrano est expert en balistique, c'est-à-dire l'étude du mouvement des projectiles, et donc des armes. Son travail est essentiel dans de nombreuses enquêtes judiciaires. 

Ce sont les parquets qui font directement appel à lui, voire parfois, les juges d'instruction. Et il peut intervenir sur plusieurs types d'incidents impliquant une arme: "Ça peut aller du tir sur une façade, pour établir s'il y a intention d'homicide par exemple, au suicide et puis jusqu'aux enquêtes criminelles. En dernière ligne, je peux être amené à travailler pour une compagnie d'assurance, ou mener une expertise sur demande d'un avocat", précise l'expert en balistique. 

Comment faire "parler" les armes? 

Mais comment, à partir d'une arme, d'une plaie par balle ou encore des douilles, un balisticien mécanique peut-il avoir des indices? Comment ça fonctionne? "Contrairement à ce qu'on voit dans des séries tv, avec des empreintes digitales sur une arme, c'est finalement très rare qu'il y en ait. Et s'il y en a, elles sont exceptionnellement exploitables", met en garde José Serrano.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n'est donc pas grâce aux empreintes digitales qu'il arrive à obtenir des indices. Mais c'est plutôt grâce aux résidus de tir. Constitués de particules brûlées voire partiellement ou imbrûlées, ces résidus proviennent de l'explosion de l'amorce (composant des munitions), puis de la combustion de la poudre propulsive, ainsi que des interactions mécaniques entre les différents composants de l’arme à feu et de la cartouche. Ils se forment donc au moment du départ du coup de feu et se déposent notamment sur le tireur et dans l’environnement, ainsi que sur la personne touchée. Et ils apportent des indices considérables à qui sait "lire" les armes. 

Ces résidus de tir vont donner des indications à l'expert en balistique, notamment sur la distance du tir. Pour un tir à bout touchant, c'est-à-dire que l'arme est en contact direct avec la victime, "il y aura des résidus de suie sur la peau, c'est valable pour les vêtements aussi", explique José Serrano. L'expert doit effectuer des prélèvements et faire analyser ces éventuelles traces. 

Dans toutes les blessures à bout touchant, on retrouve de la suie, de la poudre, des particules métalliques de fusion pouvant provenir de la balle, de l’amorce, de la douille et des traces de monoxyde de carbone déposées le long du trajet de la blessure. Autant d'indices qui vont aider l'expert en balistique dans son travail. 

Pour un tir à bout portant, à savoir un tir à une distance d'une trentaine de centimètres de la victime, "la dispersion de suie va être beaucoup moins présente", précise l'expert en balistique. Dans ce cas, ce qui va aider l'expert, c'est le "tatouage par poudre": "Ce sont des particules de poudre qui viennent frapper la peau et qui laissent des tâches brunâtres" qui ne peuvent pas être effacées. Là aussi, c'est donc un indice de taille. 

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Pour un tir à distance supérieure à 1 mètre, c'est un peu plus compliqué car il y a une absence totale de résidus de suie et de tatouage par poudre. Dans ce cas, "il faut effectuer des prélèvements sur la peau ou les vêtements qui vont ensuite être analysés". C'est l'Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC) qui s'en charge. "Il peut y avoir une concentration plus ou moins forte de résidus de tir, à savoir de métaux lourds qui sont présents dans les amorces d'arme à feu et dans la poudre", précise José Serrano.

Plus la concentration de résidus de tir est forte, et plus cela donne un indice sur la distance du tir. Les prélèvements doivent bien évidemment être faits le plus rapidement possible afin de ne perdre aucun indice. 

Comment être sûr qu'une balle appartient à tel type d'arme? 

"Si on a une arme suspecte, c'est plus facile. Si on ne l’a pas, grâce à l’analyse des douilles, et de la plaie, on va pouvoir dire que c’est une arme de ce type-là", explique José Serrano. Mais comment l'expert en balistique est-il sûr qu'une balle appartient bien à tel type d'arme, surtout s'il n'y a pas d'arme suspecte qui a été récupérée sur les lieux du crime? 

Sur tous projectile, il y a des caractéristiques groupales, explique le balisticien mécanique. "Le projectile, qui peut être extrait d'un corps vivant ou mort, va être analysé. Outre son calibre d'origine, il faut mettre en évidences les rayures, combien il y en a, ainsi que leurs orientations. Ces rayures peuvent déjà donner une indication sur le type d'arme utilisé, voire même d'une marque, car on sait, de part le fabriquant, combien de rayures il y a sur le calibre", précise-t-il. Ce rainurage, qui est propre à chaque arme, va donc laisser des empreintes sur les balles qui vont grandement aider à l'identification de l'arme. 

Les éléments de munition saisis sur le lieu du délit sont donc analysés en profondeur. Dans la mesure du possible, les paramètres suivants sont déterminés par l’expert en balistique: diamètre ou calibre, type de munition (pour pistolet, revolver, munition de guerre, de chasse, etc.), masse, forme, fabricant, peut-on lire sur le site de l'INCC. 

Par contre, si dans le cadre d'une enquête judiciaire, les enquêteurs ont mis la main sur une arme suspecte, la procédure change un peu. Il faudra plutôt faire attention aux caractéristiques individuelles de l'arme"Il y aura un essai de tir avec l'arme suspecte. On va récupérer un projectile intact et le comparer au microscope avec le projectile extrait du corps. Là, on va regarder les caractéristiques individuelles à savoir, le niveau d’usure, et toute caractéristique personnelle de l'arme. C’est sa signature", développe José Serrano. 

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Comment analyser les trajectoires de balles? 

Mais le travail de l'expert en balistique, c'est aussi d'analyser les trajectoires des balles, et de dire si cela est techniquement réalisable ou non. "On a parfois des trajectoires qui sont un peu marginales: quelqu'un qui se suicide avec un tir dans la nuque, ce n’est pas impensable mais c'est hautement improbable et peu commun. C'est notre rôle de dire quelles trajectoires sont logiques et lesquelles ne le sont pas", précise le balisticien mécanique. 

Au cours de sa longue carrière, José Serrano a déjà eu le cas à plusieurs reprises. Il se remémore une fois en particulier: "Il y avait un indice de tir à bout portant, donc une distance de 30-40 cm, mais personne ne se suicide comme ça! Dans notre expertise, on mettait donc en évidence la possibilité d’un homicide". Une trajectoire non logique peut donc en dire long sur le cas étudié. 

Dans le cas de Kendji, l'analyse de l'arme pourra-t-elle faire la lumière sur cette affaire?

Dans le cas de Kendji Girac, l'analyse de l'arme pourra-t-elle révéler s'il s'agit réellement d'un accident ou s'il s'est plutôt fait tirer dessus? Comment? "Idéalement, il faudrait analyser l’arme, voir son état car il est parfois défectueux, voir aussi si le projectile appartient bien à l’arme trouvée, etc.", détaille José Serrano. Les armes saisies sont en première instance soumises à une analyse technique approfondie par l'expert en balistique. Cette vérification est importante: que l’arme soit fonctionnelle ou défaillante peut avoir un impact significatif lors de la reconstitution de l'incident de tir.

Revenons au cas de Kendji, il présente une blessure par balle au thorax. Le chanteur assure que c'était un tir accidentel. Les experts en balistique devraient donc trouver des indices de tir à bout touchant voire quasi touchant, précise José Serrano. "Avec logiquement de la suie de poudre qui indiquerait un tir très proche. Indice qui irait éventuellement dans le sens d’un accident. C'est en tout cas impossible de ne pas avoir de traces avec un tir si proche", ajoute-t-il. 

Au niveau de la trajectoire, il faut démontrer que c'est techniquement possible que Kendji se soit accidentellement tiré dessus. "En examinant la blessure, on peut déjà avoir une idée de l'angle de la trajectoire. Notamment en fonction de la position de la balle et de son trajet dans le corps", conclut l'expert en balistique. 

On devrait donc en apprendre bien plus une fois que l'arme qui a blessé Kendji Girac aura fini d'être analysée par les experts. 

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