Après avoir enseigné durant deux ans à l'Institut Sainte-Marie de Châtelineau, à Charleroi, Sophie Gengoux se retrouve sans emploi suite à la réforme des titres et fonctions dans l’enseignement. Encore sous le choc, elle constate que son certificat d’aptitudes pédagogiques (CAP) ainsi que sa formation antérieure ne lui permettent plus de trouver une nouveau poste et de pouvoir donner cours. Le direction explique les raisons de sa "mise à l'écart".
"RENTRÉE RATÉE", c'est l'appellation, volontairement excessive dans sa formulation, que RTL info a décidé d'attribuer à ces élèves dont les deux premiers mois de l'année scolaire ont été caractérisés par de nombreuses heures de cours annulées faute d'enseignant. Ce sont leurs parents qui nous ont signalé cette anormalité via le bouton orange Alertez-nous. Nous n'avions pas reçu ce genre de témoignages au cours des rentrées précédentes. Même si la fameuse réforme des titres et fonctions ne peut expliquer tous les cas que nous vous relayons ce mardi (notamment celui de Tubize), elle n'a certes pas aidé les directions d'école à trouver rapidement des personnes pour les postes vacants. Sollicitée par notre rédaction, la ministre nous a détaillé plusieurs mesures d'assouplissement de la réforme par la voix de son porte-parole.
Notre série RENTRÉE RATÉE
1. Florine, 2e secondaire à Chapelle-lez-Herlaimont (Hainaut): pas de prof de néerlandais, 6h à l'étude par semaine
2. Un garçon anonyme, 1e secondaire à Tubize: 5h de math en 6 semaines
3. Le fils de Marie-France, 3e secondaire à Schaerbeek: plusieurs profs manquants, 65 heures d'étude
4. Cet article - Sophie, 35 ans, prof de religion et de puériculture: diplôme insuffisant selon la Réforme, ne peut plus enseigner
4. RENTRÉE RATÉE à Châtelineau: Sophie a perdu son job de prof à cause de la réforme
Du jour au lendemain, Sophie Gengoux, a dû quitter son poste d’enseignante à l’Institut Sainte-Marie de Châtelineau à Charleroi. Le 1er septembre dernier, le directeur de l’établissement lui a indiqué qu’il ne pouvait plus l’engager suite à la réforme des titres et fonctions dans de l’enseignement entrée en vigueur ce jour-là.
À 35 ans, l’habitante de Chastre, dans le Brabant wallon, est sans emploi et ne parvient pas à trouver de débouchée dans son secteur. Après avoir terminé ses études secondaires à l'Institut Notre-Dame de Namur, avec une formation dans le nursing (terme qui désigne les soins infirmiers et plus précisément l'ensemble des soins d'hygiène et de confort qui sont donnés à un malade ayant perdu son indépendance), elle a durant quelques années travaillé dans des crèches. Ensuite, elle a entrepris des cours du soir en 2012 à l’Institut d'Enseignement Promotion Sociale (IEPS), à Namur, pour pouvoir enseigner. Elle a obtenu un certificat d’aptitudes pédagogiques (CAP) en 2014. Durant les deux dernières années, elle a alors pu enseigner des cours de religion et de puériculture en tant que professeure remplaçante à l’Institut Sainte-Marie de Châtelineau, avec un horaire équivalent à un temps partiel.
Une expérience qui ne lui aura toutefois pas permis de garder son poste pour l’année scolaire 2016-2017.
"Aujourd’hui, elle se retrouve au chômage sans préavis, sans indemnités. Elle n’a plus aucun droit pour rentrer dans l’enseignement", raconte son époux, Thomas Callebaut qui nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous. "On a l’impression que ses deux ans d’études sont jetés à la poubelle", regrette-t-il amèrement.
Adopté il y a un peu plus de deux ans par le Parlement, le décret réformant les titres et fonctions de l'enseignement est pour rappel entré en application depuis le 1er septembre dernier. Attendu depuis 40 ans, il concerne l'ensemble des quelque 100.000 enseignants actifs en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Une réforme qui vise à harmoniser les titres requis pour pouvoir enseigner les cours organisés dans les écoles fondamentales et secondaires des réseaux libres comme officiels en Fédération Wallonie-Bruxelles.
En liant précisément chaque cours à une formation requise ainsi qu'à un barème, le décret veut renforcer la qualification des enseignants. Au niveau du recrutement, la priorité sera aussi donnée à ceux disposant du titre requis pour occuper une fonction.
"Son école n’a plus le droit de l’engager"
Thomas Callebaut, informaticien de 38 ans, explique que la nouvelle réforme des titres et fonctions dans l’enseignement est précisément à l’origine de la situation vécue par son épouse. "Son école voulait la réengager mais, ils n’ont plus le droit suite à ce décret. Ils sont très tristes, car elle était reconnue comme étant quelqu’un de valable dans l’établissement. C’était très enrichissant pour elle de pouvoir aider des enfants en difficulté d’un point de vue social."
Sophie Gengoux a de son côté accueilli la nouvelle comme un véritable choc: "Je me suis énormément investie dans l’école l’année dernière, car elle me tenait extrêmement à cœur. Je suis partie en classe vertes et j’organisais plein d’activités. Maintenant, je vais devoir faire mon deuil. Je réalise petit à petit. J’accuse le coup et j’essaye de me calmer. Il y a peut-être une autre manière d’enseigner autre part. Le 1er septembre, on m’a dit de rentrer chez moi et la direction a eu du mal à comprendre ce qu’il se passait."
Si elle a entendu parler de cette réforme plusieurs mois auparavant, elle ne s’est par préparée à ne plus avoir du tout d’heure de cours à dispenser. "J’avais entendu parler de la réforme mais, je pensais qu’en étant dans l’école depuis deux ans, j’allais juste avoir moins d’heures."
"En dehors de cette réforme, j’aurais pu la garder"
Pour comprendre sa mise à l’écart de l’Institut Sainte-Marie de Châtelineau, nous avons contacté Thomas Debrux, le directeur de l’établissement au sein duquel se côtoient section générale, sections techniques et sections professionnelles (de la 1ère à la 7e année dans l’enseignement secondaire).
D’emblée, il confie que Sophie Gengoux ne présente plus toutes les conditions pour être engagée. En effet, pour la dispense des cours de puériculture et de religion aux élèves de son école, il a dû se mettre à la recherche de deux nouveaux enseignants.
"La réforme des titres et fonctions complexifie le travail des directions car, certains titres ont été très fluctuants. Par exemple, pour donner des cours de puériculture, la fonction attachée avec la réforme, s’intitule à présent soins infirmiers", explique-t-il. "Pour cette année 2016-2017, il fallait donc trouver des "infirmiers bacheliers ou brevetés" pour donner ces cours, ce qui est un non-sens puisque les vrais professionnels de ce milieu sont les puériculteurs et puéricultrices."
C’est la principale raison qui a directement affecté Sophie Gengoux, qui ne peut plus donner cours dans cet établissement.
"En dehors de cette réforme, j’aurais pu la garder", déplore-t-il. "Elle avait aussi donné des cours de religion, mais, elle ne peut pas car son titre de 7e professionnel n’est pas suffisant pour pouvoir l’engager (il précise qu'elle aurait dû avoir un baccalauréat). Elle est dans une situation très compliquée", concède-t-il.
Stéphanie Wilmet, la porte-parole de la Ministre de l’Enseignement de promotion sociale, Isabelle Simonis, rappelle par ailleurs que, depuis ce 1er septembre, pour toute fonction de professeur exercée dans l’enseignement fondamental et secondaire, il faut :
- un diplôme dans une matière (ex : français, anglais, sciences, math, etc.) ET un diplôme pour pouvoir enseigner (AESS (Agrégation de l'Enseignement Secondaire Supérieur) ou un certificat d’aptitudes pédagogiques (CAP))
Sophie Gengoux rencontre ses conditions mais, la matière (le nursing) dans laquelle, elle s’est spécialisée, ne lui permet plus d’enseigner à l’Institut Sainte-Marie de Châtelineau.
"Elle devrait entamer de nouvelles études"
Pour Thomas Debrux, il existe une solution compliquée pour Sophie Gengoux: "Pour pouvoir continuer à enseigner dans mon école, elle devrait entamer de nouvelles études, soit un baccalauréat. Je lui ai proposé de se réinscrire en puériculture pour avoir le titre mais à 35 ans, ça devient complique de s’inscrire avec des élève qui ont 17, 18 ou 19 ans. C’est quasi une voie sans issue pour elle. Son diplôme ne servirait qu’à donner des cours de pratique professionnelle en option nursing et non en puériculture."
Par ailleurs, il se dit en tout cas déçu de ne pas pouvoir garder Sophie Gengoux dans son personnel enseignant. "Elle avait donné satisfaction. C’est fou car, c’est une personne qu’on a encadré, qui a développé tout ce qu’il fallait pour bien enseigner aux élèves. Et maintenant, on ne peut plus l’engager. C’est un drame pour les personnes qui ont fait cet effort-là", regrette-t-il. "La réforme saborde toute notre autonomie en termes de gestion d’équipe et de dynamique de groupe."
Sophie n’abandonne pas l’idée d’enseigner à nouveau
Passionnée par son métier, Sophie Gengoux s’est à présent mis à la recherche d’un nouvel emploi via l’application Primoweb qui permet de communiquer aux établissements scolaires ses disponibilités pour un ou plusieurs postes vacants dans l’enseignement. Un site internet qui permet ainsi aux candidats enseignants de visualiser les offres d'emploi dans toutes les écoles.
Ce système ne lui a pas pour autant permis de trouver une solution. "Au début, on pensait qu’il s’agissait d’un "bug" car, avec Primoweb, on avait à faire à un système informatique très compliqué pour pouvoir s’inscrire en tant que professeur demandeur d’emploi", raconte son mari, Thomas Callebaut. "On a fini par réussir à joindre des gens de l’administration qui ont essayé de comprendre le cas de figure de mon épouse. On a alors eu la confirmation assez récemment que la nouvelle réforme ne lui offrait pas de perspective d’avenir. Maintenant, son diplôme n’a plus aucune valeur dans le système actuel."
Et de poursuivre: "quand on met le titre du diplôme dans Primoweb, il n’y a aucune fonction qui s’affiche. Si je fais un test en mettant un autre diplôme que Sophie n’a pas, il y a toutes les fonctions et barèmes d’enseignement qui s’affichent avec la possibilité d’y postuler pour dispenser telle ou telle matière."
Par ailleurs, la Fédération de l'enseignement secondaire catholique (SeGEC) et la Fédération des Associations de directeurs de l'enseignement secondaire catholique (FEADI) ont mis en avant les nombreux problèmes techniques rencontrés sur la plateforme informatique Primoweb mise en place pour faciliter la réforme, les dossiers souvent "incomplets voire erronés" qu'on peut y consulter ainsi que la "complexité et la multiplication" des documents à remplir et à renvoyer par les secrétariats des directions.
"Si on n’a pas de diplômes, on n’est pas reconnu"
Pour Sophie Gengoux, après avoir pris ses renseignements, une seule alternative se présente maintenant à elle: obtenir un nouveau diplôme soit minimum un baccalauréat de trois ans d’étude supplémentaire pour se spécialiser dans un domaine. « Si je peux garder mes droits au chômage, j’essayerais bien de me diriger vers des études. Nous sommes dans une société dans laquelle, si on n’a pas des diplômes, on n’est pas reconnu. J’ai fait beaucoup de cours du soir qui n’est pas reconnu par la communauté française », dit-elle avec une certaine dose de frustration.
"Certains enseignants qui n’ont pas eu le diplôme requis passeront après"
Éric Etienne, le porte-parole de la Ministre de l’Enseignement, Marie-Martine Schyns, souligne que le type de diplôme donnait déjà une priorité à son propriétaire avant la réforme des titres et fonctions. "Cette dernière a apporté plus de clarté, car, les noms des diplômes et des contenus ont évolué. Des cours ont changé d’intitulé et donc plus rien ne collait avec le temps (la dernière réforme datant des années 70)", explique-t-il. "Un directeur qui avait un jeune en face de lui ne savait même plus s’il disposait du titre requis ou pas. C’est vraiment ça qui a été modifié avec la réforme. C’est une manière d’éviter l’arbitraire. Si je suis licencié en germanique, je vais plus facilement pouvoir donner le cours de néerlandais et anglais qu’une personne qui n’a pas le diplôme. On voit directement qui peut faire quoi en fonction des diplômes."
D’où un inévitable effet de vases communicants: "Il faut être honnête, comme il y a plus de clarté, quelqu’un qui a peu d’expérience et qui n’avait pas de diplôme requis, va passer après une personne plus qualifiée. Il n’y a pas de diminution d’emploi mais, certaines personnes qui n’ont pas eu beaucoup d’heures et pas le diplôme requis passeront après", confie Éric Étienne, qui ajoute que ces changements ont été bien reçus par certains enseignants. "Certains sont satisfaits, car ils voient leur diplôme être reconnu à leur juste valeur."
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