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La Norvège a annoncé samedi qu'elle cessait "temporairement", à la demande de Moscou, de reconduire des migrants vers la Russie dans l'Arctique, une pratique qui soulevait de vives craintes sur le sort des personnes concernées.
"Le ministère russe des Affaires étrangères a pris contact hier (vendredi) avec les autorités norvégiennes au sujet des reconduites de demandeurs d'asile via Storskog", poste-frontière séparant les deux pays dans le Grand Nord, a annoncé samedi le gouvernement norvégien.
"Jusqu'à nouvel ordre, il n'y aura pas de nouvelles reconduites via Storskog. Les autorités frontalières russes souhaitent davantage de coordination pour ces retours", a-t-il ajouté dans un communiqué.
Interrogé depuis Davos par la chaîne publique NRK, le ministre des Affaires étrangères Børge Brende a expliqué que les Russes avaient invoqué "des raisons de sécurité", sans plus de précisions.
Mardi, la police norvégienne avait reconduit en autocar 13 migrants en Russie en vertu d'une disposition controversée stipulant que les individus ayant légalement séjourné sur le territoire russe devaient y être renvoyés rapidement, sans examen sur le fond de leur demande d'asile.
Cela a valu à Oslo les critiques d'ONG et de l'ONU, inquiètes que les personnes reconduites soient abandonnées à leur sort dans des températures polaires ou qu'elles soient ensuite expulsées vers des pays en guerre.
"La Norvège est en train de prendre des risques par rapport à ses obligations", a averti Vincent Cochetel, directeur Europe du Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR).
"Ce qui nous pose problème, c'est l'automaticité attachée à cette nouvelle formule", dit-il à l'AFP.
Le gouvernement de droite, où siège une formation populiste anti-immigration, se défend pour sa part en affirmant que la Russie est un pays "sûr" et que ces reconduites sont indispensables pour se concentrer sur les personnes nécessitant véritablement une protection.
Si le gouvernement norvégien a parfois affiché la volonté de renvoyer la quasi-totalité des quelque 5.500 personnes ayant emprunté la "route de l'Arctique" l'an dernier, les retours ne concernent à ce stade que des migrants ayant un permis de séjour ou un visa à entrées multiples russe, plutôt qu'un visa de transit ou touristique généralement utilisé par les Syriens fuyant la guerre.
- 'Roulette russe' -
De nombreuses voix se sont indignées que ces reconduites vers les villes russes septentrionales de Nikel ou Mourmansk aient lieu au plus fort de l'hiver, sans qu'aucune prise en charge n'y soit a priori prévue.
Depuis mardi, aucune opération de reconduite n'a eu lieu. Celles prévues jeudi et vendredi ont été annulées, officiellement pour des raisons logistiques.
En vue d'une expulsion, plusieurs dizaines de migrants avaient pourtant été regroupés dans un centre à Kirkenes, ville frontalière où une partie de la population s'est mobilisée pour leur cause.
Plusieurs se sont évanouis dans la nature et trois se sont réfugiés dans une église avec la bénédiction des autorités religieuses.
Le HCR dit craindre que, par leur caractère systématique, les reconduites à la frontière englobent des réfugiés ayant véritablement besoin d'une protection.
"On n'a pas encore une procédure d'asile qui fonctionne parfaitement en Russie", a souligné M. Cochetel.
Le traitement d'une demande d'asile peut y prendre des années, période pendant laquelle les migrants, souvent sans papiers, risquent d'être arrêtés et expulsés vers leur pays d'origine, a-t-il fait valoir.
En six ans, seuls deux Syriens y ont obtenu le statut de réfugié permanent sur les 5.000 qui en ont fait la demande, selon le HCR. Quelque 2.900 autres ont reçu une forme de protection temporaire, jugée insuffisante.
"C'est la roulette russe parce qu'on n'est pas sûr d'obtenir l'asile, qu'on doit souvent payer des pots-de-vin pour l'avoir et qu'on peut avoir des problèmes avec le FSB, les services de sécurité", a estimé Marek Linha, responsable de NOAS, ONG norvégienne de soutien aux demandeurs d'asile.
Selon la presse norvégienne, deux Yéménites renvoyés mardi en Russie risquent aujourd'hui d'être expulsés vers leur pays en guerre.