Nombreux sont les Bruxellois et Flamands nouvellement installés en Wallonie qui reçoivent une redevance télévision doublée parce qu'ils n'ont pas déclaré spontanément leur appareil dans le mois qui suivait leur emménagement. Comme Christian, ils protestent, assurant que personne ne les avait informés de ce devoir. Au centre du problème, une loi "aveugle" qui pourrait être changée dans un futur proche. En attendant, bienvenue en Wallonie.
Le lundi 18 juin dernier, Christian écrit à notre rédaction, évoquant une "forme d'arnaque légale en Wallonie". L'expéditeur de l'email nous explique avoir été invité à verser 200 euros au lieu de 100 pour sa redevance télévision. Dans l'incompréhension, il a appelé le SPW (Service Public Wallonie) au numéro de téléphone laissé sur l'invitation à payer. La justification est tombée: "Vous n'avez pas déclaré spontanément votre télévision".
"Nul n’est censé ignorer la loi"
Cet ancien Bruxellois a emménagé en Wallonie, dans la commune de Braine-le-Comte, au mois de décembre dernier. Dans la Région de Bruxelles-Capitale, il ne faut pas déclarer sa TV, la redevance est comprise dans la taxe régionale. Il l'explique à la fonctionnaire, qui visiblement n'en est pas à sa première expérience téléphonique sur le sujet, répète qu'il est de bonne foi, que jamais personne ne l'a informé lorsqu'il s'est installé sur le territoire wallon. On lui répond que "nul n'est censé ignorer la loi". L'argument est court, mais au bout de la petite enquête que nous avons menée, c'est bien d'une loi qu'il s'agit, une mauvaise loi, une loi qui sera probablement changée, a reconnu un responsable de l'administration fiscale. En attendant, la loi, même mauvaise, restera la loi, et plusieurs personnes continueront à payer une redevance doublée sans avoir intentionnellement voulu frauder. C’est donc au citoyen à payer les approximations de ceux qui ont écrit, sans doute un peu trop vite, la loi sur la redevance télévision wallonne il y a quelques années.
Des articles de loi incohérents
Il était donc une fois une loi, plus précisément l'article 9 du décret du 27 mars 2003 (voir la loi wallone relative aux redevances radio et télévision) qui stipule que "Quiconque devient détenteur d’un appareil de télévision doit déclarer cette détention dans les 30 jours". Cet article 9 compte un bon copain, quelques articles plus loin, l'article 18, pas très bavard, qui prévient: "le non-respect des obligations visées à l'article 9 donne lieu au doublement de la redevance". Voilà, c'est tout. Et c'est trop peu, comme l'a admis elle-même l'administration wallonne, par la voix d'un directeur que nous avons joint par téléphone.
Les différentes parties se rejettent la faute
Car, ils sont nombreux, venant de Flandre et de Bruxelles, à s'installer en Wallonie sans savoir qu'ils doivent déclarer dans le mois leur appareil de télévision, nombreux à devenir hors la loi malgré eux. Une étiquette qui ne plaît guère à Christian, fonctionnaire assermenté bruxellois bientôt à la retraite: "Ce qui me fait tomber des nues, c'est que je passe pour un escroc. À Bruxelles, c'est compris dans l'impôt, j'attendais un pli, ce n'est pas de la mauvaise foi", insiste-t-il. Car effectivement, personne n'a informé Christian de cette loi. Lorsque nous avons appelé le service redevance wallon et rapporté ce manquement, on nous a expliqué que la commune ou le câblo-opérateur aurait dû le faire. Nous avons donc contacté la commune de Braine-le-Comte ainsi que l'opérateur Belgacom. Chacun nous a indiqué qu'il n'avait aucune obligation en ce sens et que cela ne leur avait pas été réclamé. "On ne nous a jamais demandé d'informer les nouveaux arrivants", a réagi le secrétaire communal, ajoutant qu'il s'agissait d'une taxe régionale et que ce n'est pas à la commune à avertir.
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Du surréalisme à la belge
Nous tombons alors sur une incohérence dans la loi wallonne sur la redevance télévision. "Il y a une bizarrerie dans la loi", reconnaît Patrick Meurice, le directeur de la DGO7 (administration fiscale) contacté par nos soins. Cette fois, c'est l'article 27 qui en cause. L'alinéa 2 précise qu'à l'occasion de tout déménagement dans la commune, celle-ci doit remettre au nouvel habitant un formulaire dans lequel il devra mentionner son appareil de télévision. La commune doit renvoyer le formulaire rempli au service redevance de la Région. Eh bien donc, on y est, c'est la commune qui est en faute, elle doit informer les personnes! Eh bien, c'est sans compter sur le surréalisme à la belge. L'alinéa qui suit juste après, l'alinéa 3, dispense les communes de le faire! Techniquement, ça donne: si le service redevance de la Région "dispose des informations contenues dans le Registre national des personnes physiques qui lui sont nécessaires pour l’identification des détenteurs habitant une commune déterminée, l’administration communale est dispensée des obligations déterminées." Et c'est désormais le cas. La commune n'a donc plus la moindre obligation légale d'informer le nouvel habitant de la nécessité de déclarer sa télévision dans le mois qui suit son emménagement en Wallonie.
De la mauvaise volonté des communes ?
"Nous avons envoyé un courrier répété vers les communes leur demandant, les incitant à informer les habitants de leurs obligations. Nous avons aussi envoyé des fascicules à distribuer à la population", insiste le patron du DGO7. Mais, comme il n'y a pas d'obligation, c'est au bon vouloir des communes. Certaines le font, d'autres pas.
Les opérateurs pourraient avertir les citoyens
Quant aux câblo-opérateurs, s'ils ont pour obligation de fournir à l'administration fiscale wallonne la liste de leurs abonnés, la loi ne leur demande pas d'informer leurs clients sur l'obligation d'une déclaration de la TV, lors d'un déménagement. Sensibilisé à ce problème, le porte-parole de Belgacom nous a d'ailleurs confié que l'opérateur pourrait travailler à mettre en place une Welcome Letter dans laquelle, côté wallon, les nouveaux abonnés pourraient être informés qu'il y a une taxe à payer.
Problème de timing
Le problème qui nous occupe serait donc résolu si la Région wallonne informait chaque nouvel habitant. Ce dernier arrive en Wallonie, la Région lui envoie un courrier le prévenant qu'il doit déclarer sa TV et puis voilà. Eh bien, vous savez quoi ? Elle le fait ! Mais… souvent, trop tard. Explications.
Comment fait le service redevances pour savoir qu'une nouvelle personne équipée d'un appareil de télévision s'est installée en Wallonie ? Il y a plusieurs possibilités. Parmi celles-ci, l'administration fiscale fait appel aux téléopérateurs (Belgacom, Voo,…). Ceux-ci ont pour obligation légale de fournir leurs listes d'abonnés. Les fonctionnaires croisent ces listes avec les leurs et savent donc qui a contracté un nouvel abonnement (et quand) auprès d'un téléopérateur sans déclarer sa télévision. L'administration envoie alors à ces personnes un formulaire joliment appelé "Demande de renseignements destinés aux personnes physiques présumées détenir des appareils de télévision à des fins privées".
Christian a reçu ce formulaire en… mai alors qu'il avait emménagé en… décembre, soit 6 mois plus tôt. Dès qu'il l'a reçu, il l'a rempli et renvoyé par fax. Mais c'était inutile. Il était trop tard et depuis bien longtemps puisque l'appareil devait être déclaré dans le mois qui suit l'emménagement. Quelques semaines plus tard, en juin, Christian a reçu une invitation à payer une redevance doublée comme le veut la loi. Vous l'avez compris, ce formulaire envoyé par le service redevances résoudrait tout s'il était reçu à temps, dans le mois qui suit l'arrivée du contribuable. Mais voilà, ce n'est pas possible pour tout le monde. "Nous n'avons pas les moyens de garantir qu'on va pouvoir effectuer le contrôle et envoyer la demande dans les 30 jours qui suivent l'installation", admet le directeur du service, Patrick Meurice.
Le service reçoit de nombreuses plaintes
"Au moment où les fonctionnaires du service redevance envoient les formulaires de déclaration, ils savent déjà très bien qu'ils vont recevoir des appels de gens qui se plaignent", regrette d'ailleurs le directeur. De nombreuses lettres sont dès lors adressées au ministre compétent (André Antoine) dans lesquelles les gens écrivent que "ce n'est pas normal". Ces lettres sont transmises à l'administration. Mais il n'y a rien à faire, "la loi ne nous permet pas de choix ou de nuance. Elle décrit le doublement comme un fait qui se produit d'office", répète le directeur qui précise que son service applique la loi, mais ne la fait pas.
La loi modifiée, mais quand ?
La loi, on le voit, présente clairement des lacunes. Le monde politique est au courant et conscient du problème. "Il faut changer de texte. C'est un problème qui commence à agacer pas mal de gens", nous dit-on. Et le directeur d'assurer qu'"on va probablement aller vers une modification de cette législation." Il faudra toutefois se montrer patient: d'abord parce qu'il faut trouver une formule qui permette de continuer à lutter contre les fraudes et puis, parce qu'une loi n'est pas changée comme ça du jour au lendemain, elle doit suivre tout un cycle parlementaire. Plusieurs propositions seraient sur la table, notamment celle qui prévoit la fin d'une déclaration spontanée et l'envoi au préalable d'un formulaire qui, s'il n'est pas renvoyé endéans un certain délai, mènerait alors seulement à une sanction. Une procédure qui apparait beaucou plus logique.
Aucune marge de manœuvre
Bonne nouvelle. Mais en attendant ? Et ceux qui ont déjà subi cette loi inadaptée? Eh bien, d'ici là, rien ne changera, car la loi n'aura pas été changée. On peut introduire une réclamation ou contacter le médiateur wallon qui se tournera vers le service redevances. Ce dernier n'aura pas le choix, il ne pourra dire qu'une chose: l'article 18 de la loi s'applique. Le décret ne prévoit aucune marge de manœuvre, aucune nuance. "On n'a pas le droit légalement de faire sauter ce doublement. C'est la loi", s'excuse d'avance Patrick Meurice, qualifiant le texte de "tout à fait aveugle en ce qui concerne le mode d'application ou de dégrèvement".
Les gens qui ne déclarent pas spontanément leur télévision dans le mois parce qu'ils ne sont pas au courant continueront donc à recevoir une invitation à payer une redevance doublée. Voilà. Bienvenue en Wallonie.
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