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"Nous n'avons pas recours à l'acte d'euthanasie très souvent", décrit Carin Littooij, médecin de famille néerlandaise, assise sur un banc généralement dévolu aux évêques au cœur du Vatican.
Un ange passe dans la salle où se sont glissés des religieux parmi une centaine de membres de l'Association médicale mondiale (AMM), venus ferrailler jeudi et vendredi sur l'euthanasie, dans le cadre improbable d'une salle du synode.
"La souffrance insupportable décrite par un patient est mesurée sur une longue période de temps, par plusieurs médecins de l'hôpital, c'est comme un chemin qu'on parcourt longuement ensemble, la fin est l'euthanasie mais bien plus souvent une mort naturelle", ajoute calmement le docteur Littooij.
Dans ses résolutions officielles, l'AMM juge "contraires à l'éthique" l'euthanasie -pratiquée par un médecin sur demande d'un patient- et le suicide assisté -réalisé par un malade avec l'aide de substances médicales.
Et elle "encourage toutes les associations médicales nationales et les médecins à s'abstenir de pratiquer l'euthanasie, même si la législation nationale le permet".
Mais deux associations nationales médicales -celles des Pays-Bas et du Canada, pays qui autorisent l'euthanasie ou le suicide assisté dans des cas très restreints- appellent à une révision de ces formulations stigmatisant les médecins.
En donnant le coup d'envoi de la conférence régionale européenne, le président de l'association de médecins allemands, Franck Ulrich Montgomery, a donné le ton en insistant sur le serment du médecin grec Hippocrate écrit "voici 2400 ans". Il énonce notamment "je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande".
"Est-ce réellement de la +compassion+ que de tuer votre patient, même dans une situation difficile à supporter pour le malade ou pour l'équipe médicale?", s'est-il interrogé, en prônant les soins palliatifs visant à soulager avec empathie la douleur.
- Opinion publique favorable -
Reste que des sondages dans certains pays industrialisés révèlent que 70% de la population réclame l'option de recourir en cas de besoin à l'euthanasie ou au suicide assisté. "Est-ce que notre éthique et nos convictions profondes dépendent des sondages?", a objecté le radiologue allemand. L'euthanasie est passible en Allemagne de cinq ans de prison.
"Quand je suis rentré dans cette salle du Vatican, j'ai pensé que c'était un tribunal!", a lancé à l'assemblée René Héman, président de l'association royale médicale néerlandaise. Pour lui, l'euthanasie, très strictement encadrée aux Pays-Bas après des décennies de discussions et de procès, est "acceptable".
Les patients doivent éprouver des souffrances insoutenables avec aucune chance de progrès pour que cet acte puisse être réalisé par un médecin volontaire. "Cela peut être un acte de compassion d'arrêter la souffrance", plaide le docteur Héman, tout en précisant qu'un médecin "ne se sentira jamais bien en terminant une vie".
"Le possible recours à l'euthanasie ne remet pas en cause la confiance entre un patient et un médecin. Au contraire, le patient sait qu'il peut compter sur son docteur", avance-t-il.
Yvonne Gilli, membre de l'association médicale suisse, qui travaille dans un pays qui interdit l'euthanasie mais autorise depuis un siècle le suicide assisté, s'est pour sa part faite l'avocate de "l'autodétermination". Les centaines de suicides assistés par an, notamment chez les plus de 65 ans, sont en hausse en Suisse.
Les congressistes ont reçu lecture par un cardinal d'une lettre du pape qui a rappelé son opposition à l'euthanasie et émis des réserves sur l'acharnement thérapeutique.
Et à une pause café, les participants se sont aussi vu offrir des livres aux titres choc ("Traumatisme post-avortement" ou "Le risque de l'eugénisme") par l'Académie pontificale pour la vie, un organe du Vatican co-organisateur de la conférence.
Pour Jeff Blackmer, vice-président de l'association médicale canadienne, surpris à les feuilleter, le choix insolite du Vatican pour ce congrès "envoie un message clair sur le positionnement actuel de l'association mondiale".
"Ce n'est pas un environnement neutre. C'est comme si on organisait une discussion sur les droits de l'homme en Corée du Nord!", a-t-il plaisanté en aparté, tout en louant la capacité d'écoute du Vatican.