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L’agression est toujours dans l'esprit de Fad. Une semaine après les faits, cette policière est encore marquée. "Tout vous revient. Tout vous revient en disant, mais ça aurait pu très très mal se passer. Je ne pense même plus qu'on pense en tant que policier. On se dit 'je veux rentrer chez moi, je veux voir ma famille, je veux encore voir les gens que j'aime autour de moi'", confie notre témoin.
Il le dit: 'Je vais t'égorger'
Les faits se sont déroulés à Saint-Josse, le week-end dernier, suite à une interpellation pour des mesures Covid non respectées. Un groupe de personnes est visé. Un homme est plus agressif que les autres et menace la policière.
"Il le dit: 'Je vais t'égorger'. Là il y a un moment où il y a un électrochoc. C'est un mot pour le moment qu'a pris une ampleur terrible. C'est déjà un mot qui n'est pas beau à la base, mais avec les événements que la France a vécus ces derniers temps… Et surtout, vous êtes là, vous êtes policier en uniforme et quelqu'un vous le dit en face. Je vous jure que c'est deux 2.000 volts que vous recevez. Parce que ça, en 21 ans de carrière, on ne me l'avait pas encore sorti", explique Fad.
Je sens sa main sur mon arme, là c'est votre vie qui défile en une fraction de seconde
L’individu tente de s’enfuir et s’en prend à un autre citoyen. La policière le poursuit et l’affrontement s’engage. "C'était vraiment avec les poings serrés et vraiment à donner des coups. Il y a des coups que j'ai pu esquiver, il y en a d'autres que j'ai ramassés. À un moment il a essayé de me prendre par la gorge, donc j'ai réussi à me à me libérer. On tombe au sol tous les deux et là je sens sa main sur mon arme. Là c'est votre vie qui défile en une fraction de seconde", décrit notre témoin.
L’arme de la policière est sécurisée. Elle parvient à neutraliser l’agresseur avant l’arrivée des renforts.
Le sentiment d'impunité
Malgré son expérience et les jours qui passent, Fad est marquée par cette violence de plus en plus présente sur le terrain. "Maintenant c'est quasiment tout le temps. En fait les gens n'ont même plus peur de l'uniforme. Donc ils viennent vers vous. L'uniforme est un appel à l'agression. Un appel à l'agression. C'est comme si on mettait un taureau face à un drapeau rouge. Dès qu'on voit un policier en uniforme, il faut rentrer dedans. Pourquoi?", confie-t-elle.
Et puis, il y a l’autre sentiment: celui de l’impunité. Quelques heures après son interpellation, l’agresseur reçoit l’ordre de quitter le territoire et il est remis en liberté. "Est-ce que j'ai été reconnue comme victime par la justice? Il n'y a pas plus décevant pour un policier, lorsque vous arrêtez quelqu'un, votre agresseur, et qu'il soit finalement libéré. Et qu'il ne soit pas puni", réagit Fad.
Le message à faire passer, c'est qu'on est là, on porte l'uniforme, on est fier de le porter et on retourne sur le terrain
Policière depuis 21 ans à Bruxelles, elle se sent lâchée par la justice. Mais elle retournera dès qu’elle le peut sur le terrain. "Je ne donnerai pas l'occasion de donner cette arme à ces personnes-là, je parle aux agresseurs en général, de leur dire: 'Voilà, vous avez gagné, on ne va plus revenir sur le terrain'. Non, non non… le message à faire passer, c'est justement qu'on est là, on porte l'uniforme, on est fier de le porter et on retourne sur le terrain. Et on fera le travail qu'on nous demande de faire".
La zone de police de Fad s’est constituée partie civile dans ce dossier. Elle demande la tolérance zéro lorsque des policiers sont agressés.
Ce n'est pas parce qu'une personne a commis un fait, est libérée par le magistrat du parquet, que cela signifie que la personne n'est pas punie
Suite au témoignage diffusé dans le RTL INFO 19H sur RTL-TVI, nous avons demandé à Luc Hennart sa réaction. Le président honoraire du tribunal de première instance de Bruxelles s'est exprimé en direct. Il a été interrogé par notre présentateur Simon François.
Simon François: Que pensez-vous du sentiment de certains policiers, comme Fad, d'être lâchés par la justice quand ils voient un suspect libéré après des faits?
Luc Hennart: Je pourrais comprendre. Et je dis 'je pourrais' délibérément, parce qu'en réalité ça ne correspond pas à la réalité. Le métier est difficile, personne ne le conteste. Mais il y a une désinformation dans ce qui vient d'être dit. Ce n'est pas parce qu'une personne a commis un fait, est libérée par le magistrat du parquet, que cela signifie que la personne n'est pas punie. Il faut rappeler les règles de base. Ce n'est pas au policier de décider ce qu'il en est par rapport aux poursuites. C'est le procureur du Roi et éventuellement le juge d'instruction. Il faut impérativement que l'on comprenne cela, et que le policier ne réagisse pas comme le citoyen lambda face à une libération. Pourquoi il ne peut pas réagir comme ça? Parce que c'est un professionnel. Ce n'est pas un citoyen comme un autre. C'est quelqu'un qui, en raison du métier difficile qu'il exerce, en raison de cette partie d'imperium qu'il a en main, doit pouvoir se dire que la justice fait son travail. Que le procureur du Roi prend connaissance du dossier et prend la décision éventuelle de remettre en liberté. Il n'est quasi pas acceptable d'entendre un policier dire à l'égard de l'opinion publique que c'est une forme d'impunité. C'est un mauvais message et c'est un message qui ne correspond pas à la réalité.
On envoie des policiers qui ne sont pas suffisamment formés
Simon François: En attendant, ce sentiment semble être présent chez de nombreux policiers. C'est le sentiment de la justice qui est trop long? Ce que vous dites, c'est que ces personnes qui sont remises en liberté, ça ne veut pas dire qu'elles ne seront jamais condamnées?
Luc Hennart: Absolument. Et je crois pouvoir dire qu'il y a aujourd'hui, grâce notamment à la procédure accélérée, donc la circonstance que les personnes sont citées très rapidement à comparaître devant le tribunal, est une réponse à cette exigence, et elle est légitime celle-là, c'est que justice soit rendue. […] Et justice ne veut pas dire nécessairement condamnation. Il y a un débat contradictoire. Les opinions des uns et des autres sont exprimées et il y a une décision qui se prend. C'est ça qui doit intervenir rapidement. […] C'est vrai qu'il y a un sentiment de violence omniprésent, mais je crois qu'on est en train de commettre une erreur. Parce que l'intervention policière, dans un nombre non négligeable de cas, se fait de manière quantitative plutôt que qualitative. On a recruté des policiers mais je crois, et il suffit d'interroger les responsables policiers, ils sont d'accord avec moi pour dire qu'on va beaucoup trop vite dans le processus. […] Je pense que dans une certaine mesure, il faut oser cette réflexion. Et mon propos n'est pas dénigrant, que du contraire. Je rappelle au passage que j'ai été prof à la gendarmerie et à la police fédérale, j'ai pour leur métier un profond respect. Mais je crois qu'il y a aujourd'hui une compensation à ce sentiment de sécurité que l'on veut à tout prix avoir, qu'est-ce que l'on fait? On envoie sur le terrain des policiers mais on envoie des policiers qui ne sont pas suffisamment formés. Et la formation, c'est notamment un aspect fondamental, qui est celui de la réaction adéquate au comportement des personnes que nous avons face à nous. On ne répond pas à un comportement violent, insultant, par un autre comportement violent. Certains me diront: 'Il en parle à l'aise, lui il est dans son fauteuil à l'aise au palais de justice'. Mais il n'en reste pas moins que cela reste un élément fondamental.