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Une policière en poste à Bruxelles a contacté notre rédaction pour signaler une situation qu’elle ne comprend pas, et qu’elle trouve anormale. "Le problème, c’est qu’à la fin de la formation des aspirants policiers à l’académie, on les envoie souvent travailler loin de chez eux, à Bruxelles. Il y a de plus en plus de difficultés à la police, des collègues sont en dépression, en burn-out, alors rajouter ça à ceux qui commencent, c’est se tirer une balle dans le pied! Je veux prévenir les jeunes de bien réfléchir, et sensibiliser les responsables: est-ce qu'il n'y a pas d'autres façons de placer les nouveaux?", explique Vanessa (prénom d’emprunt), via notre bouton orange Alertez-nous.
Avec le niveau de la menace qui est récemment passé de 3 à 2, et la charge de travail qui sera vraisemblablement transférée de l’armée vers la police, ce témoignage soulève des questions intéressantes: comment sont placés les policiers fraîchement formés? Sont-ils, comme le dit Vanessa, envoyés loin de chez eux? N’y a-t-il aucune prise en compte de leur situation, pour éviter des déplacements trop pénibles? Nous avons scruté les textes légaux et contacté des représentants de la police pour faire le point.
Vanessa quitte un job bien rémunéré pour faire son métier de coeur: policière
Avant d'entrer dans les rangs des forces de l'ordre, Vanessa exerçait un métier très différent de celui de policier, dans un bureau de la capitale. "J’y étais depuis quelques temps et j’étais plutôt bien payée. Mais je devais chaque jour me rendre à Bruxelles, ce qui était très pénible. Y aller en transport en commun, ça prenait trop de temps et c’était toujours incertain. Et en voiture… c’était aussi très difficile vu le trafic et les kilomètres de bouchons", confie la jeune femme.
Vanessa habite à une centaine de kilomètres de Bruxelles. Au bout d’un moment, elle en a eu assez de perdre des heures sur la route chaque jour, pour un travail qui ne lui convenait plus vraiment. "J’avais déjà depuis longtemps l’idée et l’envie d’être policière. Du coup, après une période de réflexion, j’ai décidé de franchir le cap, de passer les tests pour rentrer à l’académie, de quitter mon boulot, et de suivre la formation d’aspirante inspectrice", indique notre témoin.
Le doute s’installe
Mais après quelques mois de formation, le doute s’est installé dans l’esprit de Vanessa. "Pas en ce qui concerne la fonction de policier. Je savais que c’était un métier difficile, pour lequel il fallait faire des sacrifices. Avec des horaires flexibles et des situations pas toujours faciles à vivre… C’était en rapport avec notre affectation après l’académie".
C’est qu’au début de la formation, les aspirants inspecteurs sont invités à faire des choix parmi les postes vacants qu’on leur propose. Dans l’explication ci-dessous, vous verrez qu’il s’agit d’une procédure assez complexe, réalisée en plusieurs étapes. "Sauf que dans les propositions données aux aspirants, il n’y avait que des postes à Bruxelles. Au début on nous avait dit qu’on n’était théoriquement pas concerné, que l’académie de Bruxelles allait fournir tous ces postes, mais on a reçu un mail d’affectation par après, disant qu'on devait aller à Bruxelles… Pour moi, c'était comme un couperet qui tombait", affirme Vanessa.
Les postes proposés aux aspirants: surtout des fonctions qui n'ont pas trouvé preneur
La procédure de recrutement et d’affectation des aspirants inspecteurs est réglementée par la circulaire ministérielle GPI 73 du 14 mai 2013, lancée par la ministre de l'Intérieur de l'époque, Joëlle Milquet (cdH). Nous l'avons analysée et simplifiée pour vous.
A la police, un membre des forces de l’ordre, tout grade confondu, de l’agent au commissaire divisionnaire, peut prendre part aux cycles de mobilité. C’est le terme utilisé dans le jargon policier pour parler des offres d’emplois en interne. Chaque année, il y a cinq cycles de mobilité, pour lesquels chaque service peut signaler des postes vacants.
Vous trouverez à la fin de l'article l'explication complète de la procédure de recrutement, avec le détail pour chaque catégorie. À la lecture de cette procédure, vous comprendrez certainement qu’au final, les postes proposés aux aspirants inspecteurs sont surtout les postes qui n’ont pas trouvé preneur parmi les inspecteurs déjà en activité. Et souvent, il s'agit de postes de la police fédérale qui doivent être exercés à Bruxelles.
Il faut combler 1.000 postes par an à Bruxelles, et l'académie bruxelloise ne forme que 150 aspirants chaque année…
Si la situation pose problème pour Vanessa, elle ne risque pas de changer. Nous avons contacté Vincent Gilles, président du SLFP Police. Le Syndicat Libre de la Fonction Publique représente, selon ses propres chiffres, 18.000 membres de la police belge.
Vincent Gilles nous donne plus de détails sur la situation: "Il faut savoir que le gouvernement Di Rupo limitait le nombre de recrutements à 1.000 policiers par an. Vu que le nombre de candidats qui réussissaient les épreuves de sélection était supérieur, un vivier s'est formé. Ce vivier était donc composé des personnes qui avaient réussi mais qui ne seraient susceptibles d'être incorporées que l'année suivante. Le gouvernement Michel a ensuite limité les recrutements à 800 par an. Donc le vivier a encore grossi jusqu'à atteindre les 400 candidats. Ensuite, avec la menace terroriste, Charles Michel a augmenté le nombre maximal de recrutements à 1.600 par an. En 2016, il y en a eu environ 1.400, en 2017 1.580 et pour 2018 on devrait être à 1.400. Chaque année, il y a donc trop peu de personnes pour le nombre d'emplois".
Le président du SLFP Police ajoute que les aspirants sont formés dans les 10 écoles de police du pays. "Et Bruxelles en forme au maximum 150 à 160", précise Vincent Gilles. Un chiffre très réduit par rapport aux besoins ressentis dans la capitale.
"Sur le grand Bruxelles, en prenant en compte la police locale et fédérale, il y a un total d'environ 7.000 emplois. Sur ce chiffre, environ 1.000 policiers sont natifs de Bruxelles, mais 6.000 ne le sont pas… et beaucoup d'entre eux souhaitent travailler en région", indique Vincent Gilles.
Vous commencez donc à comprendre que les postes vacants en Wallonie et en Flandre peuvent être très recherchés par les policiers déjà en fonction.
Mais ce n'est pas tout. "Le turn-over à Bruxelles, c’est-à-dire le taux de renouvellement du personnel dans la capitale, est d'environ 1.000 personnes par an. Donc, si l'académie de Bruxelles fournit environ 150 nouveaux policiers, il en manque encore 850 pour remplacer les postes laissés vacants à Bruxelles", explique Vincent Gilles. Certains aspirants policiers acceptent "le défi" et signent directement pour un poste dans la capitale pour quelques années. Malgré cela, il reste au final des centaines de postes à pourvoir à Bruxelles.
Une circulaire ministérielle lancée en 2013, justement pour attirer des aspirants vers les zones en pénurie
Lorsque Joëlle Milquet s'était penchée sur la question du recrutement, la ministre de l'Intérieur à l'époque souhaitait résoudre plusieurs problèmes. Le principal était d'assurer un apport de candidats à toutes les zones qui en ont besoin, avec en ligne de mire Bruxelles. "Ce n’est pas un secret. Énormément de policiers venant de Flandre et de Wallonie n’ont pas fait de Bruxelles leur premier choix. Ils rêvent de retourner travailler dans leurs régions", confiait alors Joëlle Milquet.
À l'époque, c'est-à-dire en 2012-2013, le SLFP Police s'est opposé aux mesures. "Si le plan permettait initialement une mobilité du personnel et de remplir les zones de police déficitaires, il a depuis été amendé et y interviennent maintenant de possibles choix partisans des chefs de corps des zones de police", lançait Vincent Gilles. Concernant le recrutement via la catégorie B, qui permet de lier un aspirant policier à une zone de police durant sa formation pour y être affecté ensuite, le SLFP estimait que cette "disposition, qui vise surtout Bruxelles et sa pénurie de policiers, n'est pas une solution. Elle risque surtout d'instaurer une différence de traitement entre les candidats".
Certaines zones sont très demandées
Aujourd'hui, force est de constater que certaines zones attirent toujours plus que d'autres, et que Bruxelles semble avoir du mal à séduire les nouvelles recrues. Mais la capitale n'est pas la seule région à éprouver des difficultés à engager. Différents facteurs peuvent représenter un obstacle. "Il y a plusieurs éléments à prendre en compte. Les jeunes sont souvent attirés par des postes d'intervention. Il y a aussi des zones qui ont peut-être une mauvaise réputation en matière de traitement du personnel", confie aujourd'hui Vincent Gilles. Et bien sûr il y a la région d'affectation qui entre en jeu. "Par exemple, si vous prenez la zone de police Famenne-Ardenne, elle est située entre les provinces du Luxembourg, de Liège et de Namur. Donc elle intéresse beaucoup de monde. Si des postes y sont ouverts, il y a toujours le double voire le triple de candidats. Par contre, la zone de police d'Arlon, plus éloignée, quand ils ouvrent 10 emplois par exemple, s'ils ont 3 candidats c'est déjà un succès", ajoute-t-il.
Mon ancien patron voulait que je revienne…
Durant sa formation, la procédure de sélection et la quasi-certitude d'être placée à Bruxelles avait fait douter Vanessa. "En plus de ça, mon ancien patron m'avait contactée pour que je retourne travailler pour lui. J'avoue y avoir réfléchi... Mais j'ai ensuite décidé de poursuivre mon parcours au sein de la police, car c'est vraiment un métier que j'aime. J'ai donc accepté de travailler à Bruxelles. Ma hiérarchie est à l'écoute et est très compréhensive", confie aujourd'hui Vanessa. "C'est une épreuve de la vie, mais je vais persévérer", ajoute-t-elle.
Si elle est désormais une policière motivée, notre témoin tenait malgré tout à nous contacter pour partager ce qu'elle a vécu. "Je voulais prévenir ceux qui veulent postuler à la police de bien réfléchir, car leur choix aura un impact sur leur vie personnelle, sûrement plus que dans un autre travail. Et puis, je voulais essayer de sensibiliser les responsables à la situation des policiers, qui n'est pas toujours facile, surtout lorsqu'ils travaillent loin de chez eux", conclut Vanessa.
L'explication complète de la procédure de recrutement: une histoire de catégories
En ce qui concerne les inspecteurs, en plus du système applicable à tous les grades, le recrutement se fait selon des procédures adaptées aux besoins. La procédure de mise en place des inspecteurs se fait par la voie de cinq catégories: A, B, C, D et E. La catégorie A est simplement la procédure classique de recrutement par mobilité. C’est le système le plus fréquent. Un service peut signaler des postes vacants, et des policiers en fonction peuvent y postuler. Les autres catégories correspondent à des situations spécifiques. Si un poste n’est pas rempli par mobilité, les zones et services peuvent demander de passer vers les catégories B, C et E.
Au moment de son inscription aux épreuves de sélection, plusieurs choix sont parfois déjà offerts à l’aspirant. Il peut passer par la catégorie B, par la catégorie E, ou ne choisir aucune de ces deux catégories, et attendre d’avoir débuté sa formation pour ensuite participer à la catégorie C, que l’on appelle la "mobilité-aspirants". Vous n’y comprenez rien? C’est normal, nous allons vous présenter ces catégories de recrutement.
La catégorie B correspond à un recrutement immédiat. Cela signifie qu’avant même de débuter sa formation, l’aspirant se rattache déjà à un service de police bien déterminé (une zone de police locale ou une entité de la police fédérale). Evidemment, son choix est restreint: il ne peut choisir que parmi les postes vacants proposés dans ce type de recrutement. Dans cette catégorie, on retrouve des postes qui n’ont pas été attribués via la procédure classique, c’est-à-dire la catégorie A. L’avantage pour l’aspirant est qu’il pourra intégrer l’école de son choix et la formation avant les autres candidats qui n’ont pas choisi la catégorie B. De plus, cela permet à l’aspirant de faire ses stages dans le service choisi et d’y être affecté après sa formation. Par contre, son choix est irrévocable et il ne pourra plus participer aux mobilités organisées plus tard durant la formation (la catégorie C), et il devra rester 5 ans dans le service choisi (ou 3 ans dans certains cas).
La catégorie E correspond à un recrutement complémentaire. Ici aussi, l’aspirant se rattache dès le début à un service de police bien déterminé. La différence est que c’est l’entité à laquelle il est lié qui supporte les frais de formation du candidat. Le choix est également irrévocable et il n’est plus possible de participer à des cycles de mobilité par la suite. Dans ce cas, le temps de présence dans le service choisi est de 6, 7 ou 8 ans.
Dans le cas où l’aspirant inspecteur n’a choisi ni la catégorie B ni la E, il devra participer à la catégorie C, qui est la mobilité-aspirants, exclusivement réservée aux aspirants (comme son nom l’indique). Elle est organisée au début de la formation, et l’aspirant doit choisir parmi 3 possibilités (par ordre de préférence) parmi les places vacantes publiées pour cette catégorie C. Parmi les postes proposés, il y a ceux qui n’ont pas été attribués via la catégorie A (procédure classique) ou via la catégorie B (le recrutement immédiat). Si, pour son premier choix, il y a plus de candidats que de places vacantes, l’aspirant devra passer par une sélection. Si le candidat est retenu pour le poste de sa première préférence, il devra effectuer un temps de présence de 5 ans (3 ans dans certains cas).
Si l’aspirant inspecteur n’a pas obtenu de poste pour son premier choix dans la catégorie C, ou s’il n’a fait aucun 1er choix, il devient éligible à une désignation d’office. Là, ce sont ses 2ème et 3ème choix qui seront pris en compte, tout comme sa situation personnelle (domicile, famille, etc.). Une commission évaluera chaque cas séparément. Une fois qu’un service aura été attribué à l’aspirant, la désignation sera irrévocable, et il devra effectuer un temps de présence de 3 ans. Cependant, après 2 ans (voire 1 an dans certains cas), il pourra déjà participer à un cycle de mobilité, et donc, s’il le souhaite, postuler à d’autres services où il y a des places vacantes.
A ce stade, vous avez remarqué qu’il manque une catégorie: la D. Elle correspond aux situations où un aspirant n’est pas passé par la catégorie B ou E. Il a dû participer à la catégorie C, mais il n’a encore été repris pour aucun poste vacant. Dans ce cas, 4 mois avant la fin de sa formation, il peut participer librement à la mobilité classique pour toutes les places vacantes qui seront proposées au sein des zones de police locale ou des entités fédérales.
Enfin, tout en bout de chaîne, si un aspirant n’a reçu aucune affectation, il est nommé au sein du groupe de réserve de la police fédérale. Le temps de présence est de 3 ans, mais après 2 ans il pourra participer à un cycle de mobilité. S’il fait partie de la réserve fédérale, le policier qui vient de terminer sa formation sera envoyé dans une ou plusieurs unités (locales ou fédérales), durant sa période de présence. L’avantage est de pouvoir découvrir différentes fonctions et différents services, mais avec les conséquences sociales et personnelles que cela peut parfois avoir.