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Dans un film de 19 minutes diffusé sur internet à partir de vendredi à l’occasion de ses 80 ans, l’AFP part à la recherche de Marcelle Poirier, sa première correspondante de guerre en 1944, oubliée de l’Histoire.
Tout commence par un cliché dans un livre sur l'AFP publié au début des années 1990 montrant une femme en uniforme posant à côté d’une voiture ornée d’une croix de Lorraine avec comme légende "1944, Marcelle Poirier de l’AFP, première correspondante de guerre française".
Selon les quelques lignes accompagnant cette photo, elle a été la journaliste accompagnant le général de Gaulle lors de son entrée triomphale dans Paris libéré. Et aussi la première femme à entrer dans le nid d’aigle de Hitler dans les Alpes bavaroises en 1945.
Elle est pourtant inconnue des historiens, introuvable dans les documents consacrés aux correspondantes de guerre de 1944, et ne fait l'objet aucune mention dans les journaux internes de l’AFP. De quoi intriguer Laurent Kalfala, journaliste à l'Agence France-Presse, qui nous raconte les mois passés à la recherche de Marcelle Poirier.
- A-t-elle réellement existé ?
Je collecte depuis une dizaine d’années la mémoire de l’AFP en enregistrant les souvenirs d’anciens journalistes, photographes ou techniciens, témoins souvent d'une époque où les appareils numériques n'existaient pas. Quand il fallait parfois parcourir des kilomètres pour trouver un poste téléphonique longue-distance et dicter son papier ou transformer la salle de bain d'une chambre d'hôtel en laboratoire photographique pour développer une photo noir et blanc.
J’ai d'abord contacté d’anciens journalistes. Aucun n’avait entendu parler de Marcelle Poirier. Elle ne semblait exister que dans ce livre "1944-1990, une histoire de l'Agence France-Presse" de Jean Huteau et Bernard Ullmann.
- Correspondante de guerre et féministe
Les journalistes d’agences de presse n’apposent souvent que leurs initiales à leurs dépêches, compliquant les recherches dans les archives. Heureusement, plusieurs journaux, clients de l'AFP, ont publié en 1944 et 1945 des articles signés de son nom comme "La prise du nid d’aigle de Hitler", "Pas de pitié pour les bourreaux nazis demandent les prisonnier libérés" ou "Dans l’antre des U-boats, en écoutant à Hambourg un constructeur de sous-marins".
Un de ses articles diffusé par l’AFP en septembre 1944 aiguise encore plus ma curiosité sur cette journaliste n'hésitant pas à titrer "Égales des hommes dans l'héroïsme, les femmes vont désormais compter dans la politique française" seulement cinq mois après que les Françaises ont obtenu le droit de vote.
- Plusieurs mois d'enquête
Sans le savoir, je m’engage dans une enquête de plusieurs mois: exhumer des dépêches et photos d'origine des archives de l'AFP, fouiller au plus profond de l’état-civil français, interroger les bases de données de quotidiens, passer des dizaines de coups de fils, lire les mémoires de correspondants de guerre de l’époque ou traverser la Manche pour visionner des microfilms dans une bibliothèque à Leeds. Même rechercher la fenêtre d’un couvent normand d’où Marcelle Poirier se serait échappée.
Au fur et à mesure, le puzzle de sa vie s’esquisse. Mais je ne retrouvais toujours rien sur ce fameux voyage qu’elle aurait effectué avec le général de Gaulle en août 1944.
Après des heures rivé à un écran à faire défiler des centaines de pages d’archives de journaux et magazines du monde entier, je les ai trouvées : les mémoires de Marcelle Poirier sur 1944. Quelques pages publiées en 1984 dans un quotidien australien, pour le quarantième anniversaire de la Libération de Paris.
- Une femme sur la mission de trois hommes
Si Marcelle Poirier est inconnue de l’Histoire, c’est qu’en tant que femme, elle a dû opérer en secret.
Elle rejoint Londres dès juin 1940, puis les Forces françaises libres en 1944 où elle s’occupe du service de presse. Début août, le général de Gaulle s’apprête à rentrer en France depuis Alger, et les trois journalistes envoyés pour le rejoindre sont capturés et annoncés morts sur le sol français.
Dans l'urgence, Marcelle Poirier est désignée pour les remplacer. Partant de Londres, elle doit se rendre en Bretagne pour retrouver le général de Gaulle et raconter son entrée triomphale dans Paris libéré.
C'était sans compter sur la règle imposée aux femmes journalistes par le commandement allié: pas le droit de s’approcher du front.
Marcelle Poirier est donc envoyée "en douce" par les Français comme simple officier-observatrice et ne pourra compter que sur elle-même pour réussir sa mission auprès du général de Gaulle et se mettre au service de l’AFP, alors appelée Agence française de presse, fondée en août 1944.
- Le mystère Marcelle Poirier
Tiré de ces recherches, le film de 19 minutes "1944, Marcelle Poirier, correspondante de guerre oubliée" (https://u.afp.com/Marcelle-Poirier-film) raconte cette épopée avec le général de Gaulle, avec l'occasion de revoir les images en couleurs de la Libération de Paris du cinéaste américain George Stevens, qui a probablement posé sa caméra le 25 août 1944 non loin de Marcelle Poirier à l’arrivée du général à la gare Montparnasse.
La journaliste réalisera ensuite pour l’AFP des reportages à Paris, puis en Allemagne et Autriche en 1945. Mais, pourquoi cette première correspondante de guerre de l’AFP, qui a réussi seule la mission de trois journalistes, disparaît-elle de l’agence en 1946 ? Pourquoi n'y poursuit-elle pas sa carrière de reporter ? Sans descendance connue, ni famille encore vivante, le mystère sur la suite de son parcours reste entier.
Marcelle Poirier est décédée en 1992, peu après la publication du livre dans lequel figurait sa photo en uniforme, qui a conduit à cette enquête.
Par Laurent Kalfala, du Département Data-Visualisation de l'AFP.