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Arnaud Lagardère, contraint mardi de se démettre de ses mandats de dirigeant du groupe qui porte son nom après une mise en examen, est l'héritier d'un empire aéronautique et médiatique français, dont il a progressivement perdu le contrôle, avant d'être rattrapé par la justice.
Cette mise en retrait survient au lendemain d'un long interrogatoire par des juges d'instruction financiers, qui le soupçonnent d'avoir puisé dans les comptes de ses sociétés pour financer son train de vie et ses dépenses personnelles pendant plusieurs années, ce qu'il conteste.
Sa mise en examen, notamment pour "abus de bien sociaux", a été assortie d'une "interdiction de gérer", selon une source judiciaire, le contraignant à céder les rênes de son entreprise.
Jean-Christophe Thiery, 56 ans, président du Conseil de surveillance du Groupe Canal+, le remplace désormais provisoirement.
Il s'agit du dernier épisode du long feuilleton qui a vu Arnaud Lagardère, 63 ans, perdre son aura et solder au fil des années le groupe fondé en 1992 par son père Jean-Luc, artisan de la fusion entre l'avionneur Matra et l'éditeur Hachette.
A travers le géant des médias Vivendi, la famille Bolloré avait finalisé fin 2023 sa prise de contrôle de la maison Lagardère, propriétaire notamment d'un réseau profitable de boutiques dans les gares et aéroports (enseignes Relay, magasins Duty Free) et de salles de spectacle célèbres (Casino de Paris, Folies Bergère...), mais aussi de médias comme Europe 1 et Le Journal du dimanche.
Cette opération a été rendue possible par le changement de statut juridique de l'entreprise, qui est passée en 2021 d'une commandite par action à une société anonyme, faisant perdre à Arnaud Lagardère son contrôle absolu sur le groupe.
Criblé de dettes, notamment via sa holding personnelle, au coeur d'une enquête ouverte par le parquet national financier, le fils Lagardère n'avait pas vraiment le choix.
Il réussit à rester officiellement à la tête du groupe avec un mandat de six ans et devient même en novembre 2023 le PDG de Hachette Livre, sa filiale spécialisée dans l'édition.
- Fossoyeur des ambitions paternelles -
"Arnaud Lagardère a reçu une marguerite dont il a arraché les pétales année après année", tacle Yves Sabouret, un de ses ex-lieutenants.
Fossoyeur des ambitions de son père, Arnaud Lagardère a pourtant fait toute sa carrière au sein du groupe familial, dans lequel il était entré dès 1986, après l'obtention d'un diplôme d'économie.
Trois ans plus tard, il a été propulsé directeur général, puis est parti aux Etats-Unis, à la tête de l'éditeur d'encyclopédies Grolier récemment acquis, pour chercher des relais de croissance dans les médias numériques.
Il a gagné outre-Atlantique ses galons de dirigeant, adoptant "la culture managériale américaine aux rapports très directs, parfois brutaux", analyse pour l'AFP le journaliste Thierry Gadault, auteur de l'ouvrage "Arnaud Lagardère, l'insolent" (Maren Sell).
Lorsque Jean-Luc Lagardère est brutalement décédé des suites d'une intervention chirurgicale le 14 mars 2003, son fils unique lui a succédé.
- Dilettante et désinvolte -
Souvent ramené à sa condition d'enfant bien né, le nouveau dirigeant a rompu avec l'aventure paternelle dans l'aéronautique et la défense. Il a vendu pour plus de 2 milliards d'euros les parts du groupe dans EADS, la maison mère d'Airbus.
"Arnaud s'est toujours méfié de ce monde-là", du fait de liens troubles entre l'establishment politique et les industries de défense, justifie M. Gadault. Il gère en revanche son groupe "exactement comme le faisait son père" et "considère qu'il n'a pas à s'immiscer dans le quotidien de la gestion des patrons d'activités, en qui il place sa confiance".
D'autres voient dans cet éloignement des affaires quotidiennes le signe d'un patron dilettante et désinvolte, une réputation qui lui colle encore à la peau.
Arnaud Lagardère a aussi adopté le style de l'entrepreneur moderne en s'affichant décontracté avec son épouse, la mannequin Jade Foret de 30 ans sa cadette, sur les réseaux sociaux et dans un film tourné en 2011 pour un magazine belge.
Son aventure personnelle, ce passionné de tennis l'a vue dans le sport business (droits marketing, représentation d'athlètes, droits TV), une activité pour laquelle il a investi plus d'un milliard d'euros.
Las, le chiffre d'affaires n'a pas décollé pas, la crise de 2008 a poussé les clubs et fédérations à gérer eux-mêmes leurs droits et la résiliation prématurée d'un contrat d'agence avec la Confédération africaine de football a sonné le glas de cette diversification.