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"Bijou" de la recherche océanographique française, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) traverse une crise financière sans précédent pour son quarantième anniversaire, une situation paradoxale alors que la France s'apprête à célébrer l'année des océans.
"Ce 40e anniversaire a un goût amer", peste Carla Scalabrin, chercheuse en acoustique sous-marine au centre de Brest-Plouzané.
Pour l'élue CGT au conseil d'administration de l'Ifremer, l'avenir s'annonce "sombre" pour l'établissement public aux quelque 1.400 salariés, pour près de 800 chercheurs.
"On n'a plus les moyens de faire tout ce qu'on doit faire. Il y a un craquage général. On est tous plus ou moins en mal-être", décrit-elle, citant les "salaires parmi les plus bas du monde de la recherche française" et des locaux "construits dans les années 60", dont la rénovation a été repoussée faute de moyens.
Né le 5 juin 1984 de la fusion de deux organismes (Cnexo et ISTPM), l'Institut a pourtant "joué un rôle important dans l'exploration des océans", rappelle l'océanographe Françoise Gaill, directrice de recherche émérite au CNRS. "Pour l'océan profond, on était les premiers avec les Américains."
-"Trop de missions"-
"C'est un bijou, un institut qui brille par son dynamisme", appuie Mme Gaill. "L'un des problèmes c'est la diversité des missions. L'Ifremer a trop de missions par rapport à ses moyens".
Organisme de référence en sciences et technologies marines (climat, génomique, grands fonds marins, etc.), l'Institut compte 24 sites sur tous les océans du monde. Il opère également les 17 navires de recherche de la flotte océanographique française et joue un rôle d'expert en appui de l’État sur des domaines très variés: évaluation des stocks de poissons, effets des parcs éoliens en mer, surveillance des eaux côtières, etc.
"Nous avons plusieurs ministères de tutelle, qui nous font des demandes, mais ne veulent pas en payer le coût", résume Mme Scalabrin.
Un point de vue largement partagé sur le site de la Pointe du Diable, siège de l'Institut, à l'embouchure de la rade de Brest. "La croissance des ressources n'a pas suivi la croissance des attentes et elle n'a pas complètement suivi l'inflation non plus", abonde ainsi le PDG François Houllier, en des termes plus policés. "On a aujourd'hui un véritable enjeu de soutenabilité économique de notre activité".
- Risque de défaut de paiement -
Le budget 2024, qui affiche pour la troisième année de suite un résultat déficitaire, symbolise cette "crise de croissance", décrite par M. Houllier. Avec près de 290 millions d'euros de charge, l'Ifremer affiche un déficit prévisionnel de 9,4 millions d'euros.
L'institut, qui a dû piocher dans ses réserves pour financer des investissements courants, risque même de se retrouver en défaut de paiement en 2026 si sa situation ne s'améliore pas, selon un document présenté en conseil d'administration.
"Les matières premières, l'énergie, le matériel de laboratoire: tout a flambé ces deux dernières années... et la subvention de l’État n'a pas suivi", dénonce Jean-Bernard Donou, délégué syndical CFDT, qui regrette que des "projets scientifiques" aient été "gelés" faute de financement.
Un "plan de réduction des effectifs" est également envisagé en dernier recours, selon un document interne. Mais "mon principal sujet, c'est d'essayer de trouver des ressources complémentaires", assure M. Houllier.
"Dans un moment où la France met la mer à l'agenda, mon espoir, c'est qu'on arrive à trouver les voies et les moyens permettant d'assurer une soutenabilité économique des activités de l'Ifremer", avance le PDG.
La France doit accueillir en juin 2025 la Conférence des Nations unies pour les océans à Nice, et le président Emmanuel Macron a appelé à "faire de l'année 2025 l'année des océans".
Interrogé, le ministère de la Recherche a précisé à l'AFP qu'un "travail" était "en cours sur le nouveau contrat d’objectifs, de moyens et de performance" de l'Ifremer pour la période 2024-2028, "qui permettra d'acter une trajectoire pluriannuelle assortie de moyens supplémentaires".