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Une décision "sans précédent": le gouvernement a annoncé mercredi l'interdiction en Nouvelle-Calédonie du réseau social TikTok pour limiter notamment les contacts entre émeutiers, une mesure permise par la proclamation de l'état d'urgence et la présence d'un unique opérateur télécoms sur le territoire.
. Quelles sont les raisons de cette interdiction ?
Le réseau social, propriété de la société chinoise ByteDance, est un des vecteurs de communication préférés entre les groupes qui commettent des violences depuis trois nuits, estime le gouvernement.
Cette mesure d'interdiction intervient également sur fond de craintes d'ingérences et de désinformation sur les réseaux sociaux venant de pays étrangers qui chercheraient à attiser les tensions, ont indiqué des sources gouvernementales et de sécurité, évoquant la Chine ou l'Azerbaïdjan.
Contacté par l'AFP, TikTok a jugé "regrettable qu'une décision administrative de suspension de (son) service ait été prise (...) sans aucune demande ou question, ni sollicitation de retrait de contenu, de la part des autorités locales ou du gouvernement français".
"Nos équipes de sécurité surveillent très attentivement la situation et veillent à ce que notre plateforme soit sûre, assure le réseau social. Nous nous tenons à la disposition des autorités pour engager des discussions".
. Est-ce légal ?
Sur le réseau X, le juriste Nicolas Hervieu, qui enseigne à Sciences-Po et à l'université d'Evry, a estimé qu'il s'agissait d'une décision "sans précédent" et jugé que sa légalité était "discutable", bien que liée à l'état d'urgence proclamé plus tôt dans la journée par le gouvernement.
Car c'est bien la loi "relative à l'état d'urgence" qui permet cette interdiction "exceptionnelle", explique à l'AFP Amélie Tripet, avocate spécialisée du droit des médias au cabinet August Debouzy.
Conformément à la loi du 3 avril 1955, "le ministre de l'Intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l'interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie".
"Pour avoir une telle mesure générale de blocage du service de communication, qui est une mesure exceptionnelle et qui doit être nécessairement proportionnée dans le temps, il faut vraiment justifier d'une particulière nécessité", souligne Amélie Tripet.
"Si jamais cela est contesté devant le juge, il y aurait trois questions: est-ce que c'est prévu par la loi ? Est-ce que c'était nécessaire ? Est-ce que c'était proportionné ?", ajoute-t-elle. "C'est une décision potentiellement fragile juridiquement".
"Je me demande si le blocage de TikTok ne va pas être contre-productif en contribuant à alimenter le narratif de ceux qui cherchent à nous nuire en désignant l'État comme liberticide", a prévenu le député Eric Bothorel (Renaissance) sur X.
. Comment est-ce possible techniquement ?
"C'est l'office des postes et des télécommunications de Nouvelle-Calédonie (établissement public du gouvernement de Nouvelle-Calédonie) qui intervient depuis hier pour bloquer les accès à l'application TikTok", a précisé Matignon mercredi soir, dans la foulée de son annonce.
Cette interdiction, facilitée par l'existence de cet unique opérateur télécoms, "fonctionne opérationnellement" sur les téléphones portables dans l'archipel.
"Techniquement, cela aurait été beaucoup plus compliqué d'aller voir tous les opérateurs" en France métropolitaine (Orange, SFR, Bouygues Telecom, Free...) pour mettre en place une telle interdiction, souligne encore l'avocate Amélie Tripet.
Dans le détail, la méthode technique la "plus probable qui aurait pu être utilisée" est le blocage du "système de nom de domaine" (DNS), c'est-à-dire ce qui permet de convertir un nom de site web en une adresse IP numérique, qui est utilisée par les internautes pour trouver le site, estime Adrien Merveille, expert en cybersécurité chez Check Point Software Technologies.
"Le mécanisme pour empêcher l'accès à TikTok serait simplement de dire que les requêtes faites vers TikTok n'auront pas de réponse. C'est quelque chose qui peut se mettre en place au niveau des opérateurs", complète-t-il.
Mais cet obstacle reste facilement contournable en utilisant un réseau privé virtuel (VPN) ou un autre service de masquage de localisation, et de nombreux experts soulignent aussi l'existence d'alternatives à TikTok, comme Snapchat ou les messageries Telegram et Signal.
"Le blocage étatique se pratique en Chine, au Moyen-Orient depuis des dizaines d'années et ça fonctionne. Mais cela a ses limites, il peut être contourné par du VPN, rebondir dans un autre pays", confirme Arnaud Lemaire, expert en cybersécurité chez l'entreprise F5.