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A mi-chemin entre cours magistral d'économie, meeting de campagne et concert rock, le président ultralibéral argentin Javier Milei a combiné mercredi soir ses exercices favoris, rayonnant en un show à son image, hors normes et auto-célébrant, malgré un scénario économique encore incertain.
L'événement était présenté comme la promotion de son 13e et dernier livre d'économie: "Capitalisme, socialisme, et le piège néo-classique".
Veste de cuir noir trois-quarts et cravate, le président de la troisième économie d'Amérique latine a interprété un air de hard-rock local, ovationné par 8.000 personnes acquises à sa cause: "Bonjour à tous, je suis le lion! / La bête rugissait au milieu de l'avenue / Tout le monde courait sans comprendre / (...) / Ne t'enfuis pas, viens à moi / Viens découvrir ce que ça fait!"
La quasi-totalité des places du Luna Park, vaste salle au cœur de Buenos Aires, étaient parties sans mal, pour le premier vrai meeting de M. Milei depuis sa campagne présidentielle de 2023. Aux abords de la salle se sont vendus ses livres et des casquettes floquées d'une de ses incantations fétiches: "Les forces du ciel".
Un public divers a fait le déplacement, de tous âges et milieux sociaux, à l'image de l'électorat qui l'a en masse porté au pouvoir en novembre (56% des voix), lui l'outsider "anarcho-capitaliste" qui a renversé 20 ans de gouvernements péroniste (centre gauche, étatiste), ou de droite classique. Un public qui, malgré l'austérité, le suit encore d'après les sondages.
"Je suis ici pour soutenir Javier dans ce qu'il fait. J'aime ses idées, il est sincère, transparent, il dit ce qu'il pense", s'est enthousiasmé Santiago Roldán, 20 ans, employé de supermarché. "J'aime sa gestion jusqu'à présent, il faut lui laisser du temps."
Quelques heures plus tôt, l'indice d'activité économique pour le mois de mars a confirmé que la récession s'installait en Argentine, avec une contraction de -5,3% sur trois mois, sous l'impact des mêmes mesures drastiques d'austérité qui ont produit au premier trimestre 2024 un excédent budgétaire, inédit depuis 16 ans.
- La "campagne permanente" -
La chorégraphie de la soirée était réglée: une chanson de rock pour le président - qui dans sa jeunesse joua dans un groupe reprenant des titres des Stones. Puis une dissertation à travers la présentation de son livre, en réalité une compilation de discours de Milei, dont celui à Davos en février, et d'articles ou contributions.
Ainsi, en un monologue de près d'une heure, l'économiste jadis polémiste des plateaux TV, devenu chef d'Etat, a donné un cours d'économie, de l'Egypte antique jusqu'à la chute du Mur de Berlin, convoquant des dizaines d'économistes surtout libéraux: Milton Friedman, David Ricardo, Carl Menger, Friedrich Hayek ou encore Robert Lucas.
Au passage, le président devenu tête de gondole de la droite radicale ou extrême internationale a comme à son habitude écharpé le socialisme, "l'économie de ceux qui échouent", et l'avortement, "agenda assassin" qu'il a fait remonter à 3000 ans et aux fantasmes de surpopulation.
"Liberté! Liberté!", "Président, président!", l'a gentiment interrompu la foule qui paraissait se languir de la musique. Et qui, peu à peu, s'est éclipsée quand la soirée s'est muée en conférence-débat. Invité principal: Javier Milei. Modérateur: le porte-parole de la présidence.
Reste que l'ambiance générale évoquait celle d'il y a quelques mois, lorsque le candidat Milei en campagne aimantait un électorat croissant, face à une classe politique traditionnelle incrédule.
"J'ai juste fait ça (le meeting) parce que j'avais envie de chanter", a-t-il lancé ingénument à la foule.
Il "reste un personnage qui aime faire le show", observe pour l'AFP le politologue Carlos Fara. Et "il y a une logique de +campagne permanente+. La communication du gouvernement est la même que celle de la campagne" pour les élections de novembre.
Au bout du compte et comme à son habitude, Javier Milei aura toute la semaine cannibalisé la scène médiatique argentine. D'abord par des échanges d'invectives et une crise diplomatique avec l'Espagne du socialiste Pedro Sanchez, puis mardi par un discours-fleuve sur la politique monétaire et le taux de change. Et puis le show du "lion", en pleine forme.