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"Si on n'avait pas de proches pour nous héberger, on serait à la rue", souligne Ghislain, un jeune Bruxellois de 19 ans. Cet étudiant en 6ème secondaire lance un "cri à l'aide" via notre bouton orange Alertez-nous.
Pendant environ cinq ans, Ghislain habite avec sa mère et son grand frère Jordan dans un appartement situé à Evere, en région bruxelloise. Leur père est malheureusement décédé.
"L'été dernier, le propriétaire de l'immeuble qui n'était pas en très bon état a décidé de le vendre", indique le jeune homme.
Selon lui, les premiers contacts avec le nouveau propriétaire du bien immobilier sont plutôt courtois. "Il a accepté de faire quelques rénovations. Il y avait par exemple des problèmes d'humidité dans nos chambres et des soucis d'électricité, surtout en cas de fortes pluies", affirme Ghislain.
Un nouveau propriétaire doit continuer le bail locatif de l'ancien bailleur. "Il ne peut pas le modifier, surtout s'il est enregistré", précise José Garcia, président du syndicat des locataires.
"Tout à coup le proprio a décidé qu’on devait quitter le logement"
"Mais tout à coup le proprio a décidé qu’on devait quitter le logement parce qu’il voulait entreprendre des travaux dans tout l’immeuble. Il nous a donné un préavis de 3 mois", assure l'étudiant.
Légalement, un propriétaire peut à tout moment donner un préavis de 6 mois à l'ensemble des locataires de son immeuble s'il veut effectuer des travaux de rénovation conséquents, comme mettre en conformité toute l'électricité du bien. "Dans ce cas, le nouveau bailleur n’est pas tenu de respecter la fin du triennat de chaque bail, soit les trois ans d’occupation du bien par le locataire. Cela permet de vider l'immeuble et d’éviter de rénover appartement par appartement à des moments différents puisque les baux n’ont pas forcément été signés au même moment", explique le président du syndicat des locataires. "En fonction du bail et de l'acte de vente, un préavis de 3 mois peut suffire", ajoute-t-il.
Ghislain, sa mère et son frère se mettent dès lors à la recherche d'un nouvel appartement. La famille est toutefois confrontée à un obstacle de taille: leur situation financière. "C'est compliqué parce que ma maman, qui a 50 ans, est au chômage. Elle perçoit environ 1.000 euros par mois", révèle l'étudiant. Son grand frère Jordan, 20 ans, est également étudiant en 6ème secondaire dans une école professionnelle. "En tant qu'étudiants, nous recevons chacun une allocation du CPAS qui s'élève à environ 280 euros", ajoute Ghislain.
Malgré les nombreuses visites, la famille ne parvient pas à trouver un nouveau logement. "Les propriétaires refusent à chaque fois notre demande parce que ma maman n'a pas de fiches de salaire puisqu'elle ne travaille pas et c'est un gros handicap", regrette-t-il.
Une expulsion programmée fin janvier
D'après lui, le nouveau propriétaire leur annonce en octobre qu'il a demandé à un juge de paix de pouvoir procéder à leur expulsion. Sur le document, la date fixée est le 23 janvier.
Le Bruxellois assure que sa mère n'a pas reçu de convocation pour se présenter devant le juge. "Ce n'est pas possible qu'un juge de paix n'envoie pas de requête et décide de manière unilatérale. La maman a dû normalement recevoir une convocation par pli judiciaire. Vu sa situation, elle aurait d'ailleurs eu le droit de faire appel à un avocat pro-deo pour défendre ses intérêts. Mais si elle n'a pas été recherché ce recommandé au bureau de poste, c'est possible que le juge prenne une décision par défaut en raison de son absence à l'audience", indique cependant Olivier Hamal, président du syndicat national des propriétaires. Sur le PV d'expulsion, que nous avons pu consulter, il est en tout cas confirmé que le jugement a été rendu par défaut.
De son côté, José Garcia souligne la possibilité de faire appel d'un tel jugement "si une erreur a été commise et si on respecte un délai légal". Quoi qu'il en soit, cette situation ne l'étonne pas. "A l’issue du préavis, si des locataires restent dans les lieux, il est fort probable que le proprio accède à un tel jugement. La loi le permet. Il y a toujours moyen de retarder une telle sanction mais il faut analyser la situation et avoir un argument en béton", souligne le président du syndicat des locataires. "Dans l’absolu, tôt ou tard un nouveau bailleur peut prendre possession de son bien via un juge de paix qui lui donnera gain de cause", ajoute-t-il.
Comme prévu, le 23 janvier, Ghislain et sa famille doivent donc quitter leur appartement. "Il faisait un froid terrible. Je ne trouve vraiment pas cela correct de nous avoir jeté dehors. Et j’ai dû aussi rater pas mal de cours à l’école qui heureusement est au courant de la situation", regrette le jeune homme.
"On espérait bénéficier d’une maison de transit"
Le jour-même, le trio se rend au service logement de la commune d’Evere ainsi qu’au CPAS pour trouver une solution. "On espérait bénéficier d’une maison de transit puisqu’on était dans l’urgence. On était dans une situation dans laquelle on ne pouvait pas rester. Mais visiblement les logements de transit étaient déjà tous occupés. On a passé des heures sur place, sans résultat", souffle l’étudiant.
Le logement de transit est une solution d’accueil temporaire pour des habitants d’une commune confrontés à des problèmes graves, comme des femmes battues ou des familles qui se retrouvent à la rue car leur logement est parti en fumée. Le problème, c’est qu’ils sont souvent peu nombreux. "Nous en avons cinq à Evere pour 42.000 habitants. Ils permettent d’accueillir des personnes en situation de détresse pendant maximum 6 mois. Et ce n’est visiblement pas suffisant, puisque il n’y en a plus de disponible pour cette famille", confie Georgy Manalis, chef du cabinet du bourgmestre d’Evere.
Même s'il ne désire pas commenter un cas particulier, ce représentant communal nous assure que les pouvoirs publics prennent cette situation préoccupante au sérieux. Georgy Manalis regrette que cette famille ait attendu le moment fatidique avant de frapper aux portes de la maison communale. Le chef du cabinet du bourgmestre conseille d’ailleurs à toute personne qui reçoit un avis d’expulsion à réagir immédiatement, en se rendant au guichet logement de sa commune ou au CPAS.
"Il ne faut pas faire l’autruche"
"Quand on a un litige avec son propriétaire, il ne faut pas faire l’autruche et reporter à plus tard. Il faut être actif dès le départ, surtout quand on ne comprend pas ce qui se passe, car il y a suffisamment de mécanismes d’aide qui existent", assure-t-il.
Le service logement communal fournit des informations utiles comme une liste d’avocats pro-deo ou d’associations ainsi qu’une liste actualisée des logements privés en location sur son territoire. Des assistants sociaux peuvent aussi être consultés de manière confidentielle. Ceux-ci peuvent notamment aider les personnes à remplir les documents administratifs, parfois compliqués. "Il nous est arrivé d’appeler nous-mêmes le proprio pour discuter avec lui et trouver une solution temporaire, en prolongeant le délai par exemple", se souvient Georgy Manalis.
Le but est d’éviter à tout prix l’expulsion, la "mesure ultime" prise par un juge de paix. Et cette décision peut être influencée par certains facteurs. "Comme la présence d'enfants en bas âge ou la période hivernale, comme c’était le cas pour cette famille expulsée un jour de neige. Même s’il n’existe pas en Belgique de trêve hivernale pour les logements privés, un juge peut être sensible à cela et augmenter le nombre de mois avant l’expulsion."
Heureusement, d’après le chef du cabinet du bourgmestre, ce genre de situation dramatique est rare à Evere. Seulement deux cas en cinq ans de carrière à la commune.
Les meubles conservés dans un entrepôt communal
Qu’est-ce que la commune et/ou le CPAS peuvent-ils alors fournir comme soutien à ces habitants en plein désarroi ?
La première aide est un support logistique. Il faut savoir que les pouvoirs publics sont informés des expulsions à venir. L’huissier en charge du dossier doit prévenir le CPAS qui avertit à son tour les services communaux. La date et le lieu de toute expulsion sont ainsi dévoilés.
"La commune envoie automatiquement la régie publique réceptionner les meubles à la date prévue pour les conserver dans un entrepôt au sec, et éviter tout vol ou démolition s’ils restent sur un trottoir. En contrepartie, on demande un loyer minime. Mais comme c’est souvent compliqué pour les gens de payer cette facture, nous ne réclamons pas les sous. En cas d’inondation par exemple, nous offrons le même service", explique Georgy Manalis. Ghislain nous confirme l’intervention de la commune pour les meubles de sa famille.
Il semble que ce soit toutefois la seule aide "automatique". En tout cas, selon le Bruxellois, sa famille n'a pas été contactée pour parler de ce problème avant d'être "jetés dehors". Et eux-mêmes n'ont pas fait la démarche de se renseigner, sans doute par méconnaissance de leurs droits. "Ma maman n'a pas tout bien compris", affirme d'ailleurs Ghislain.
Ce n'est qu'une fois dans la rue qu'ils se sont donc rendus au guichet communal et au CPAS pour espérer trouver un nouveau toit avec l’aide des pouvoirs publics.
"Quand on reçoit des gens expulsés, tout d’abord on leur demande leur acte d’expulsion, mais on ne tient pas compte des motifs de cette expulsion comme un arriéré de paiement des loyers. Si vous êtes dans la rue, c’est une situation d’extrême urgence", souligne Georgy Manalis.
"La seule alternative, c’est d’obtenir un logement social"
Les premières étapes sont des rencontres avec les assistants sociaux de la commune et du CPAS pour entrevoir les possibilités d'aide. Si un logement de transit n’est pas libre, reste les logements sociaux.
"Le CPAS nous a dit de nous inscrire sur la liste pour bénéficier d’un logement social mais même si on va gagner des points vu notre situation comme ils disent, ce n’est pas pour ça que nous serons premiers. Je sais que la liste d’attente est longue", regrette Ghislain.
"Dans le privé, cela sera très difficile pour eux puisque les bailleurs vont difficilement accepter un locataire qui est au chômage. Ou alors ils vont malheureusement finir dans un taudis à un prix exorbitant. La seule alternative, c’est donc d’obtenir un logement social moyennant une dérogation justifiée par un cas d’expulsion. Ce qui ouvre la possibilité à avoir un logement sans attendre les 7 à 10 ans requis", analyse José Garcia, président du syndicat des locataires.
Le chef du cabinet du bourgmestre d'Evere confirme qu'une "situation d’extrême urgence, comme être dans la rue, vous donne une priorité sur les autres". Les citoyens doivent alors fournir des documents pour que la commission d'octroi de logements sociaux, qui se réunit chaque semaine, puisse statuer sur leur cas. "Cela peut permettre de trouver un logement en quelques jours. Celui-ci ne sera peut-être pas le plus adapté, ni dans le quartier voulu, mais cela permet de créer une période tampon pour se retourner."
Dans certains cas, le CPAS peut également décider de financer sur fonds propres ou via des aides fédérales un séjour à l’hôtel. "Cela permet de chercher plus sereinement un logement et l’aide d’accompagnement social dure le temps nécessaire", assure Georgy Manalis, qui précise que le CPAS a également la possibilité de débloquer des aides financières, notamment pour avancer la garantie locative ou payer le premier mois de loyer. Reste évidemment à trouver un toit…
Depuis le 23 janvier, Ghislain habite chez des amis qui acceptent de le dépanner. "Je transporte donc mes affaires dans une valise. Ma mère et mon grand frère sont, eux, hébergés par d'autres proches. On est donc dispersés."
"On ne peut finalement compter que sur les gens qui nous entourent. Sans eux, on serait quasi des SDF ", confie le jeune homme.
D'après lui, la société de logements sociaux Everecity leur a promis de leur donner une réponse d'ici mars. La possibilité d'obtenir un appartement social est leur seul espoir.