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Ayrton Senna. Un nom, bien sûr, mais surtout une icône, une légende absolue, du sport mondial et de sa discipline en particulier. 30 ans après sa mort tragique, le Brésilien continue d'inspirer des milliers de pilotes à travers le monde, y compris les 20 engagés en F1 cette année. Mais que reste-t-il de Senna, aujourd'hui ? Quelle est son image, quel est son héritage ?
Nous avons posé la question à divers experts, de générations différentes. L'occasion de faire un chouette tour d'horizon pour voir comment Senna est perçu, en 2024. Vous allez vous en rendre compte, sa mémoire semble absolument éternelle.
"C'est une icône"
Nous avons d'abord demandé à nos invités de résumer Ayrton Senna en trois mots. Les réponses obtenues sont très variables, confirmant l'aura du pilote brésilien, triple champion du monde de F1. "Caractère, aura, immortel", a choisi Maxime Potar, un streameur belge spécialisé dans les sports automobiles. "C'était une personnalité qui assumait ce qu'il était, ce qu'il pensait, sur la piste et en dehors quitte à se mettre du monde à dos. C'est aussi une aura, il avait la faculté de fédérer, d'être écouté et respecté. Il est devenu immortel il y a 30 ans puisqu'encore aujourd'hui, il est encore pris en exemple par beaucoup d'écoles et de jeunes pilotes comme celui qu'on rêve d'égaler, de rejoindre ou de dépasser", nous précise-t-il.
"Ce qui me vient à l’esprit au-delà même de la légende qu’il représente… je pense que je dirais : Mystique. Génie. Magique", nous dit Alexandre Khaldi, journaliste spécialisé en sport moteur en France, qui est aussi streameur dans ce domaine. "Icône, Panache, Compétiteur", enchaîne Séphane Genti, journaliste sportif depuis 22 ans chez Canal +, en France.
Pierre Van Vliet, qui a commenté la F1 pendant des années, a lui aussi trois mots qui lui viennent instantanément en tête. "Excellence, c'était la recherche de la perfection, c'était son slogan. Détermination parce que c'était tout pour la course. Il a tout sacrifié pour ça. Et je mettrais charisme, parce qu'il avait cette aura, qu'il a toujours dans la mémoire collective. Ce charme qui rappelle son souvenir", exprime notre compatriote.
Tous s'accordent pour dire qu'en 2024, Ayrton Senna est encore et toujours l'homme qui marque la F1. Les pilotes actuels ont tous un respect inestimable pour le Brésilien qui, au-delà de son simple palmarès, a créé quelque chose d'unique autour de lui. "Il y a encore beaucoup de pilotes sur la grille qui le prennent en exemple", confirme Maxime Potar. "Quand on leur demande qui est la référence, beaucoup citent Michael Schumacher, mais de nombreux pilotes citent encore Ayrton Senna, même parmi ceux qui ont à peine la vingtaine. Ils ont beau avoir grandi après sa disparition, ils sont fascinés par ce que représentait Ayrton Senna", estime-t-il.
"C’est une icône. Il représente la perfection d’un pilote de course qui a atteint logiquement, par son talent et son histoire, le statut de mythe", juge de son côté Alexandre Khaldi. "Ayrton Senna m’a toujours inspiré la perfection. Quand on voit, entend ou lit les témoignages de proches ou de personnes qui ont collaboré avec lui, on ressent un phénomène qui ne cherchait qu’une chose, le succès. C’était une obsession, un travailleur infatigable au talent immense pour toucher le Graal", poursuit-il.
Pour exprimer cela, il prend d'ailleurs un exemple très précis. "Personnellement, l’exemple parfait est Monaco 1990 en qualifications. C’est le tour parfait, l’excellence à l’état pur", raconte le Français, en référence à ce chrono lunaire, ce tour mondialement connu de Senna, sans doute le plus beau de sa carrière. Cette obstination de la perfection, selon Khaldi, l'a parfois poussé au bout de ses limites, comme en 1988, à Monaco, où il a ruiné sa course en se crashant après avoir construit un écart de 50 secondes avec Alain Prost.
"Au tour 54, Ayrton Senna compte plus de 50 secondes d’avance sur Alain Prost. Il est en tête du GP. Ron Dennis (son patron, ndlr) lui demande de calmer le rythme pour assurer la victoire… puis il se met dans le mur au portier… et perd la course. Cette histoire, je la ressens comme si Ron Dennis avait dérangé voire même interrompu un artiste, un musicien qui déroulait sa partition. On ne peut pas déranger ainsi un tel phénomène qui avait atteint la perfection et qui était hors du temps. C’était comme si quelqu’un avait stoppé Léonard de Vinci quand il peignait la Joconde. En plus, Senna était très très croyant en tant que Chrétien. Lors du dernier tour du GP du Japon 1998, il disait même qu’il avait vu Dieu. Et sa carrière a beaucoup tourné autour de la religion dans ses déclarations ce qui en faisait un personnage mystique quand il parlait des moments où il disait qu’il dépassait son état de conscience… comme à Monaco. Pour moi, ça résume parfaitement ce que Senna était : un virtuose mystique !", poursuit Alexandre Khaldi.
"Il reste la référence en termes de vitesse pure", lance de son côté Stéphane Genti. "C’était le maître des qualifications, l’exercice où l’art du pilotage est le plus fin selon moi. Le côté paradoxal de Magic Senna, c’était qu’il était à la fois impitoyable et féroce en piste, mais aussi très humble, généreux et humain une fois qu’il sortait de sa monoplace", nous confie-t-il ensuite.
Pierre Van Vliet, qui a côtoyé Senna sur les circuits, il a même adopté un enfant grâce à l'aide de la fondation du Brésilien, qu'il continue de soutenir aujourd'hui, il y avait quelque chose d'unique autour du pilote. Il a même réalisé un film dédié à l'ancienne superstar de la F1. "Pour les pilotes, c'est une sorte d'exemple. Il a mis la barre très haute, mais avec ses fragilités. Ce n'est pas le superman, il y avait des failles, c'est tout ce qui fait son humanité, ce n'est pas un robot. J'ai bien connu Ayrton et forcément, c'est un souvenir qui reste", raconte notre compatriote.
Un pilote inimitable ?
Vous l'aurez compris, Ayrton Senna dispose d'un héritage conséquent. Pour nos experts, il n'est pas certain que l'on revoit un pilote de cette trempe en F1, non pas au niveau du talent, mais de l'aura.
"Je pense que l’héritage laissé est immense et surtout, Ayrton Senna touche toutes les générations, même les nouvelles qui n’étaient pas encore nées quand il roulait. L’histoire d’un sport se transmet et fait d’ailleurs évoluer le sport. L’histoire inspire et donc les nouveaux pilotes ont vu des vidéos et extraits des exploits de Senna. Senna fera toujours rêver et il est inspirant. Il n’y a qu’à entendre Lewis Hamilton quand il parle de Senna, c’est comme s’il parlait d’un Dieu", lance même Alexandre Khaldi.
"Pour les pilotes actuels, qui pour la plupart n’étaient pas nés ou alors très jeunes en 1994 (hormis Alonso 12 ans, Hamilton 9 ans), Senna représente sans doute l’image de la F1 un peu à l’ancienne, celle de ces "fous furieux" qui montaient dans des machines où la sécurité était bien loin des F1 modernes, où tous les coups étaient quasiment permis et où les pilotes faisaient la différence au lieu des ingénieurs. Une vision sans doute légèrement fantasmée, mais qui le rend encore plus mythique dans la F1 contemporaine", juge lui Stéphane Genti.
Alors reverra-t-on un autre Senna un jour ? Pas certain. "Je ne pense pas qu’on retrouvera un pilote avec une telle aura", nous confie Alexandre Khaldi. "Ou du moins pas de sitôt. Ce qui me touche le plus, c’est la façon dont il a rendu fier tout le peuple d’un pays, le sien, le Brésil. Il faut se souvenir que le Brésil n’était pas une destination bien cotée à l’époque, c’était un pays "sans valeur, avec un côté obscur lié aux vols et aux escroqueries" pour reprendre les propos de sa sœur Viviane. Et dans tout ça, Ayrton arrive au milieu des années 80, vient triompher en F1 ET SURTOUT, il affiche fièrement le drapeau brésilien en mondovision. Il a été une source d’inspiration incroyable pour les Brésiliens et une source d’espoir immense pour le peuple. Personnellement, je pense que s’il n’avait pas eu son accident, il aura pu être président", estime-t-il ensuite.
"Nous pensions l’ère des dominations absolues un peu révolue, mais Hamilton avec Mercedes et désormais Verstappen, écrase la concurrence, prouvent le contraire. Pour avoir un champion d’exception, il faut souvent des duels aussi, un meilleur ennemi et les passes d’armes et la rivalité entre Senna et Prost ont forgé sa légende également. Difficile d’anticiper ce que sera la F1 et ses pilotes dans 5, 10 ou 20 ans", juge lui Stéphane Genti.
Pierre Van Vliet, lui, pointe surtout l'humain pour évoquer Senna. "Il était flamboyant. On voit souvent des pilotes qui ont des casques en référence à Senna. Ce sont des gens qui n'ont pas connu Ayrton, mais cela reste une référence. La seule comparaison possible d'un tel niveau de reconnaissance, c'est Fangio, à qui on consacre encore une expression aujourd'hui", témoigne-t-il d'ailleurs. "Il avait confiance en lui, mais Ayrton avait de la nuance dans ses jugements. À Imola, il était en plein questionnement et il se posait des questions. J'ai vécu ce week-end de l'intérieur, j'étais à son hôtel, j'étais à table à côté de toute sa bande au restaurant. Il ne voulait pas courir après la mort de Ratzenberger", rappelle-t-il ensuit, espérant que quelqu'un arriver à lui succéder à ce niveau-là dans le futur.
Pour Maxime Potar, impossible de savoir si quelqu'un détrônera un jour Senna dans l'histoire de la F1, non pas au niveau du palmarès, où il a déjà été surclassé, mais en termes de représentation. Par contre, lui retient un autre élément de son héritage. "C'est sans doute aujourd'hui ce qu'il a laissé au monde, à savoir l'Institut Ayrton Senna et notamment à travers sa soeur, Viviane, tout ce qu'il met en place pour aider des centaines d'enfants au Brésil. C'est ce qu'il reste aujourd'huau-delàlà du grand champion qu'il était", raconte-t-il.
Ayrton Senna, c'est une légende, un mythe et une icône. C'est un exemple absolu, enlevé par une F1 qui avait omis de prioriser la sécurité des pilotes. Il y a 30 ans ou aujourd'hui, l'histoire est la même: Ayrton Senna était quelqu'un d'unique.
